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le frère de mon beau-frère Jules, occupait l’étage inférieur avec sa femme Eugénie. Louis était un homme instruit, studieux, modeste ; Eugénie était une femme de la pire espèce. Bien que son mari gagnât beaucoup, elle le forçait toujours à s’endetter ; et on ne savait pas de quelle façon elle dépensait tout cet argent. À en croire les mauvaises langues, il lui servait à payer ses amoureux… Comme elle était très laide, sa laideur accréditait ce bruit infâme. Ma sœur s’était liée avec Eugénie, je ne sais comment, et elle allait sans cesse en bas sous prétexte de se faire donner par Louis des répétitions de français. Cela déplaisait à maman, mise en défiance par les sœurs Angelini, vieilles filles qui feignaient d’avoir de l’amitié pour les Sergi, mais qui en réalité les détestaient comme des buzzurri et étaient heureuses d’en médire. « Permettre qu’Adrienne fréquente la maison d’une femme perdue ! » Les sévérités augmentèrent. Mais Eugénie favorisait toujours les amours de Jules et d’Adrienne. Jules venait souvent pour affaires de Milan à Rome. Et, un jour où justement il devait venir, ma sœur avait grande hâte de descendre en bas. Maman lui défendit de bouger. Ma sœur insistait. Dans la dispute, maman leva la main. Elles se saisirent aux cheveux. Ma sœur alla jusqu’à lui mordre le bras et prit la fuite par l’escalier. Mais, comme elle frappait à la porte des Sergi, maman lui tomba dessus, et, en plein palier, il y eut une scène de violence que je n’oublierai jamais. On rapporta chez nous Adrienne presque morte. Elle tomba malade, eut des convulsions. Maman, repentante, l’entoura de soins, fut douce comme elle ne l’avait jamais été… Quelques jours plus tard, avant même d’être tout à fait guérie, Adrienne prit la fuite avec Jules… Mais ceci, je te l’ai déjà conté, je pense.

Et, après ces naïfs bavardages où elle s’oubliait sans soupçonner l’effet produit sur son amant par ces vulgaires souvenirs, elle reprit son souper interrompu.

Il y eut un intervalle de silence ; puis elle ajouta en souriant :

— Tu vois quelle femme terrible est ma mère. Tu ne sais pas et tu ne sauras jamais combien elle m’a martyrisée, lorsque éclata la lutte contre… lui. Mon Dieu ! quel supplice !

Elle resta quelques instans songeuse.

George fixait sur l’imprudente un regard chargé de haine et de jalousie, souffrant en cette minute toutes ses souffrances de deux années. Avec les fragmens qu’elle avait l’imprudence de lui fournir, il reconstruisait la vie intime d’Hippolyte, non sans lui attribuer les plus mesquines vulgarités, non sans l’abaisser aux contacts les plus déshonorans. — Si le mariage de la sœur s’était fait sous de semblables auspices, dans quelles conditions,