Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/525

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par suite de quelles circonstances, s’était donc conclu celui d’Hippolyte ? Dans quel monde s’était écoulée sa première jeunesse ? Par quelles intrigues était-elle tombée aux mains de l’homme odieux dont elle portait encore le nom ? — Et il se représenta la vie cachée et sordide de certaines petites maisons bourgeoises de la vieille Rome. La prédiction d’Alphonse Exili lui revint à la mémoire : « Sais-tu quel sera probablement ton successeur ? C’est Monti, ce gros propriétaire. Il a des sous, Monti ! » Il lui parut probable qu’Hippolyte finirait de cette façon, dans un amour lucratif ; et qu’elle aurait le consentement tacite des siens, alléchés peu à peu par une existence plus facile, débarrassés des gênes domestiques, remis en possession d’un bien-être plus large encore que celui que leur procurait jadis l’état matrimonial de leur fille. « Ne pourrais-je pas faire moi-même une offre de ce genre, proposer franchement à Hippolyte cette position ? Elle disait l’autre jour qu’elle avait quelque chose en vue pour l’hiver, pour l’avenir. Eh bien, ne pourrions-nous pas nous arranger ? Je suis sûr que, après avoir considéré le sérieux de l’offre et la stabilité de la position, cette vieille farouche ne montrerait pas trop de répugnance à m’accepter pour substitut du gendre fugitif. Peut-être même finirions-nous par faire la popotte ensemble jusqu’à la fin de nos jours. » Le sarcasme lui tordait le cœur avec une intolérable cruauté. Nerveusement, il se versa encore du vin et but.

— Pourquoi bois-tu tant ce soir ? lui demanda Hippolyte en le regardant dans les yeux.

— J’ai soif. Et toi, tu ne bois point ?

Le verre d’Hippolyte était vide.

— Bois ! dit George, qui fit le geste de lui verser du vin.

— Non, répondit-elle. Je préfère l’eau, comme d’habitude. Aucun vin ne me plaît, excepté le Champagne… Tu te rappelles, à Albano ? Tu te rappelles l’ébahissement de ce bon Pancrace, quand le liège ne sautait pas et qu’il fallait recourir au tire-bouchon ?

— Il doit bien en rester une bouteille en bas, dans la caisse.

Je vais la chercher.

George se leva vivement.

— Non, non ! Ce soir, non !

Elle voulait le retenir. Mais, comme il s’apprêtait à descendre :

— J’y vais aussi, dit-elle.

Et gaie, légère, elle descendit avec lui dans une chambre du rez-de-chaussée qui servait d’office.

Candie accourut avec une lampe. Ils fouillèrent au fond de la caisse et trouvèrent deux bouteilles au col d’argent, les dernières.