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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/539

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Elle semblait frappée par l’accent insolite de la voix de George, et un effarement vague commençait à l’envahir.

— Viens donc !

Et il s’approcha d’elle, les mains tendues. Brusquement, il la saisit par les poignets, l’entraîna quelques pas, puis la saisit dans ses bras, fit un bond, essaya de la renverser vers l’abîme.

— Non ! non ! non !…

Elle résistait avec une énergie furieuse. Elle parvint à se dégager, fit un saut en arrière, haletante et tremblante.

— Es-tu fou ? cria-t-elle avec la colère dans la gorge. Es-tu fou ?

Mais, lorsqu’elle le vit revenir sur elle sans rien dire, lorsqu’elle se sentit empoignée avec une violence plus brutale et traînée de nouveau vers le précipice, elle comprit tout, et un grand éclair sinistre lui foudroya l’âme de terreur.

— Non, George, non ! Laisse-moi ! laisse-moi ! Une minute encore ! Ecoute ! écoute ! Une minute. Je veux te dire…

Folle de terreur, elle suppliait en se tordant les mains. Elle espérait l’arrêter, l’apitoyer.

— Une minute ! Écoute ! Je t’aime ! Pardon ! pardon !

Elle balbutiait des mots incohérens, désespérée, se sentant faiblir, perdant du terrain, voyant la mort.

— Assassin ! hurla-t-elle alors, furibonde.

Et elle se défendit avec les ongles, avec les dents, comme un fauve.

— Assassin ! hurla-t-elle, saisie par les cheveux, renversée à terre sur le bord du gouffre, perdue.

Le chien aboyait contre le groupe tragique.

Ce fut une lutte brève et féroce, comme entre ennemis implacables qui auraient couvé jusqu’à cette heure dans le fond de l’âme une suprême haine…


Et ils s’abîmèrent dans la mort, enlacés.


Gabriel d’Annunzio.