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est, c’est-à-dire comme animal social et en même temps comme animal intelligent, capable de progrès, pour le montrer comme capable de transformer progressivement l’instinct social en une morale aussi complète, et aussi élevée et pure qu’on peut la souhaiter.

Oui, l’homme n’a que des lois physiques, et primitivement il est un animal comme un autre ; mais une de ces lois consiste à développer tellement le plus profond de ses instincts primitifs qu’il s’écarte presque indéfiniment de ses conditions premières d’existence ; et il est de sa nature de se séparer de plus en plus de la nature jusqu’à subordonner en lui l’animalité à l’esprit. La morale complète, ou la socialité achevée, car ces mots sont exactement synonymes, sera le triomphe de la nature sur elle-même dans le mieux doué de ses enfans. — Pourquoi non ? L’homme, nous l’avons montré, voit toujours la nature comme il se voit lui-même. Le philosophe positiviste voit la nature remportant son dernier triomphe à se vaincre elle-même, comme l’homme n’est jamais plus grand que quand il triomphe de lui.


II

C’est cette morale qu’il faut achever ; c’est cette socialité qu’il faut amener à sa perfection. Pourquoi cela est-il nécessaire ? Comment pourra-t-on y arriver ?

Cela est nécessaire parce qu’au XIXe siècle nous semblons bien être à un de ces momens de l’histoire où l’humanité recule, à un de ces momens du progrès où il y a régression, ce qui est une des lois du progrès. La morale décline et la socialité diminue, ce qui est, comme on sait, la même chose. Morale publique, morale domestique fléchissent sous nos yeux, ensemble. L’anarchie intellectuelle est la préface et elle est un agent de l’anarchie morale. Régression redoutable, qui peut être considérée comme durant depuis trois siècles, depuis le déclin du catholicisme, depuis le commencement de la période métaphysique !

Cette période a trois phases : le protestantisme, le philosophisme, l’esprit révolutionnaire qui règne encore. Avant le protestantisme le christianisme régnait sous la forme du catholicisme. Il avait inventé la distinction du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Rien de plus juste et rien de plus salutaire. Rien de plus juste ; car les hommes ne sont jamais bien gouvernés dans leurs intérêts matériels par les savans et jamais bien dans leur être moral par les gens pratiques. Il faut donc deux