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prend, sans doute à tort, pour des époques, mais qui, sans doute éternelles, doivent être exactement définies pour que l’esprit voie clair en lui-même. Sa pénétration, son intelligence, à force de tout comprendre, l’a conduit à tout aimer, sauf ce qui est décidément trop étroit, trop négatif, trop exclusivement polémique, et un esprit de haute impartialité règne dans toute son œuvre. Il a eu dans l’avenir de la science, dans sa prépondérance finale, dans son aptitude à suffire à l’esprit humain et à gouverner exclusivement l’humanité une confiance peut-être trop grande, et le positivisme n’a pas paru capable de tout ce qu’il mettait en lui, ni de satisfaire complètement l’esprit humain. Il répondrait que c’est affaire de temps et que les résidus théologiques et métaphysiques, pour n’être pas encore brûlés, ne sont pas moins destinés à l’être un jour. Sans en être aussi sûr que lui, on peut répondre que c’est beaucoup d’avoir, d’un des élémens essentiels de notre connaissance, donné une définition précise et une description systématique admirablement claire, logique et ordonnée, d’en avoir tracé et subdivisé le domaine et fermement marqué les limites. C’est quelque chose surtout que de faire penser, et Auguste Comte est merveilleux pour cela : c’est le semeur d’idées et l’excitateur intellectuel le plus puissant qui ait été en notre siècle, le plus grand penseur, à mon avis, que la France ait eu depuis Descartes. Comme ayant cru que l’intelligence, et l’intelligence seule, doit être reine du monde, et comme ayant lui-même été une intelligence souveraine, il ne peut, il ne doit avoir décidément contre lui que les anti-intellectualistes. Il l’a prévu ; il n’en serait pas mécontent ; et ce n’est pas un mauvais signe.


EMILE FAGUET.