rient, le poing sur la hanche. Nous passons, me dit-on, de l’état du Bayou à celui du Pélican, du Mississipi en Louisiane. Je ne sais plus ce qui, de toute cette eau environnante, est la rivière Perle, le lac Borgne, les Rigolets qui rattachent celui-ci au lac Pontchartrain, le lac Catherine ou le Sund. Des ponts-levis qui s’ouvrent pour laisser passer les bateaux nous portent d’une prairie tremblante à une autre, parmi les cyprès enguirlandés de mousses qui font penser à de sombres stalactites vivantes. Le Mississipi pourrait aussi bien être la mer, vu sa largeur, une mer jaunâtre. Nous abordons la ville du Croissant protégée par ses levées contre les empiétemens du fleuve plus haut qu’elle. Ce n’est pas trop des plus solides défenses pour tenir en échec la violence et la perfidie d’un pareil adversaire.
Comment ne pas songer, en découvrant le port, à toutes les existences humaines qui s’engloutirent dans ce limon insondable avant que n’en sortît une grande ville, — aux malheureux colonisateurs français qui débarquèrent là pour mourir de misère ? Tandis qu’on s’arrachait à Paris les chimériques actions du Mississipi, tandis que la fureur de l’agio atteignait son paroxysme dans les antres de la rue Quincampoix, les victimes les plus naïves du système de Law émigraient bravement. Ce fut au début un élan volontaire, puis des recruteurs eurent recours à la fraude, aux enlèvemens même ; enfin les prisons elles hôpitaux vomirent leur écume sur ce rivage apparemment maudit. Les trafiquans d’esclaves ajoutaient force cargaisons noires à la foule des misérables dupes blanches, et la famine régnait, complice de la fièvre ; les cadavres putréfiés s’entassaient dans la vase, servant d’assises à la cité meurtrière qui prospéra malgré les épidémies et les inondations périodiques, qui s’accrut pour ainsi dire de tant d’espérances mortes et de vies sacrifiées. L’écroulement de la Compagnie des Indes ne fut après tout qu’une simple bulle crevée a la surface du Mississipi, un bouillonnement après tant d’autres. Le nom lui en est resté, très expressif en anglais : the Mississipi bubble.
Je me suis plongée, chemin faisant, dans l’histoire de la Louisiane, ce qui explique le fugitif cauchemar dont mon imagination est frappée bien mal à propos, car nous passons d’un paysage enchanté à une ville en fête. C’est le dimanche gras. Tout le peuple est dehors pour accueillir les détachemens militaires venus des différens points des États-Unis et qui, musique en tête, marchent vers les réjouissances du carnaval : lanciers de Boston, compagnies venues de Détroit, d’Albany et d’autres villes encore. La Nouvelle-Orléans se trouve conquise amicalement par une soldatesque jadis ennemie, réconciliée aujourd’hui. À la