rencontre de ces hôtes en uniformes variés se portent le gouverneur et son état-major, les principaux commandans militaires, le maire, les notables, les gardes continentaux, l’artillerie louisianaise, en même temps que de nombreux visiteurs étrangers avides du spectacle que donne une multitude à laquelle le monde entier semble avoir fourni son contingent : tous les types en effet y sont représentés et confondus de la façon la plus pittoresque, ce qui s’explique sans peine, puisque, d’après le dernier recensement, 18 pour cent seulement des 242 000 habitans de la Nouvelle-Orléans sont Anglo-Américains : il y a 17 pour cent de Français, le reste est composé d’Allemands, d’Irlandais, d’Italiens, d’Espagnols ; plus 25 pour cent de gens de couleur. Dans cette foule, le nègre domine par son exubérance, sa gaîté enfantine, son intelligence du plaisir. Il faut bien dire du reste que le carnaval est pour tous, du haut en bas de l’échelle, l’affaire importante de l’année ; on ne cesse d’en tirer gloire, de le préparer ou de s’en souvenir. Longtemps à l’avance les journaux annoncent, d’un ton convaincu, que Rex a quitté Stamboul : — « Le roi Rex approche, disent naïvement les nègres qui se précipitent aux nouvelles. On l’a vu ici ou là. »
Il semble que ces grands enfans parlent d’une majesté réelle, tant ils y mettent de sérieux, — le genre de sérieux que les propriétaires de petits souliers accordent à la venue de l’enfant Jésus ou de saint Nicolas dans la nuit de Noël ; peut-être n’y croient-ils pas tout à fait, mais ils ne sont pas sûrs de douter. En attendant le roi, voilà ses courtisans qui arrivent de partout : les canons tonnent, les fanfares éclatent, des hourras montent dans les airs. Je prends ma part de l’ovation dont sont l’objet au débotté les délégués militaires descendus du même train. Cette ovation se terminera le soir par un banquet à l’Arsenal. Là des toasts seront échangés par d’anciens adversaires qui, tout en sablant le Champagne, rappelleront avec courtoisie les coups qu’ils échangèrent, chacun rendant justice à la bravoure des autres, et finiront par boire à la paix, à la camaraderie, à l’hospitalité.
Le temps est loin où les fonctionnaires et officiers du Nord étaient impitoyablement mis en quarantaine, où un général des anciennes armées fédérales voyait toutes les femmes de la ville se lever en masse et sortir de leurs loges à l’Opéra le soir où il osa y entrer. Si les dernières traces d’un profond ressentiment sont éteintes, il faut reconnaître que le rôle de conciliateur a été souvent joué par le carnaval. Il arrive sous le masque de Rex, octroyant à tous, étrangers et amis, des titres, des décorations, les enrôlant pêle-mêle sous sa bannière. De fait le carnaval est un roi très puissant, un roi qui ne craint aucune révolution, le