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qu’il chevauche semble effleurer de ses ailes d’acier la crête d’une vague. Dix-neuf chars le suivent, représentant l’épopée fabuleuse des premiers rois de Perse : je ne citerai qu’un de ces chars pour donner l’idée des autres, tous d’une égale beauté, portant des monumens énormes et des douzaines de personnages : l’Epreuve du Feu, où le roi Kaus, sous un palanquin d’or, avec toute sa cour, regarde son fils, faussement accusé, se précipiter à cheval dans les flammes. Derrière, ce sont les armées de Féridoun, traversant le Tigre au milieu des palmiers et des cactus ; — le culte du feu célébré par des prêtres, en grand appareil, sous la voûte d’un temple embrasé ; — la lutte de Roustan contre un dragon de quatre-vingts pieds de longueur ; — certaine vision du ciel où un fleuve d’argent roule ses eaux scintillantes d’un bout du tableau à l’autre. Tout cela défile lentement, au pas mesuré des mules revêtues de housses brodées de fleurs de lis, au son de la musique et des vivats ; et tant de flammes enveloppent la scène entière qu’on aurait grand’peur d’un véritable incendie si le char des pompiers ne suivait avec des échelles et tous les engins nécessaires, en cas d’accident, car on a vu quelqu’un des édifices mouvans s’écrouler sous le poids des danseurs et des mimes ; une jambe cassée, des contusions quelconques peuvent en résulter pour les acteurs ; tous les secours sont donc à portée de la main.

Rome, Venise, Nice n’ont jamais égalé les merveilles toujours diverses, créées d’année en année par l’imagination féconde des organisateurs du carnaval à la Nouvelle-Orléans. Les costumes commandés sur dessins spéciaux coûtent des sommes extravagantes et ne doivent servir qu’une fois. Il n’est pas un cercle qui ne soit illuminé : le Boston et le Pickwick, le Cercle militaire, celui du Commerce, beaucoup d’autres se sont mis en frais ; les balcons des deux premiers sont chargés de femmes parées pour le bal qui, vers dix heures, aura lieu à l’Opéra. On n’entre à ce bal qu’invité spécialement et sur la présentation d’un billet gravé avec luxe. Quand j’y arrive, toutes les loges sont garnies ; l’amphithéâtre, réservé aux seules jeunes filles, ressemble à un parterre de fleurs. Invasion de la scène par l’équipage de Protée. Chaque masque choisit sa danseuse et alors commence, le plus gaiement et le plus honnêtement du monde, sous le regard lointain des familles qui remplissent les loges, un bal où les dames ignorent le nom et la qualité de leurs cavaliers. Ceux-ci offrent des présens, bijoux de clinquant, jolis colifichets, et parlent d’une voix de carton, sans se faire reconnaître.

Le lendemain, mardi gras, redoublement d’animation ; nouveau cortège, celui de Rex, qui partage les honneurs avec le Bœuf gras, lequel a un char à lui tout seul. Couvert de guirlandes