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Une visite que les étrangers de passage font toujours, c’est la visite à l’archevêché, d’abord par déférence pour Mrs Janssens, un des prélats dont à juste titre l’Amérique s’enorgueillit le plus, et aussi pour voir de près sa demeure pittoresque, l’ancien couvent des Ursulines, au coin de la rue de Chartres. Il date de 1727 ce long bâtiment à deux étages, au toit élevé d’un rouge noirâtre, aux lourds volets de cyprès défendant les hautes fenêtres. Sous le porche on aperçoit, dans les profondeurs d’une cour-jardin sur laquelle donne une véranda ombreuse, toute sorte de feuillages exotiques : palmes, figuiers, myrtes, bananiers, lauriers-roses ; c’est un jardin échevelé, négligé, délicieux par cela même, comme tous les vieux jardins de la Nouvelle-Orléans. Au bout se trouve une petite église.

Depuis longtemps les Ursulines se sont transportées dans un magnifique établissement situé hors la ville ; elles continuent d’élever, selon les anciens systèmes, un grand nombre de jeunes créoles catholiques, tandis que les Américaines protestantes sont tout aux méthodes nouvelles, importées du Nord et qui les conduisent parfois jusqu’à une brillante annexe de l’Université de Tulane, le collège de Sophie Newcomb, fondé par une mère en mémoire de sa fille[1]. Il y a là un double courant qui crée des personnalités presque aussi différentes que peuvent être différens les tempéramens anglais et français. Depuis cent cinquante ans, les Ursulines maintiennent d’une main ferme en Louisiane l’éducation de couvent ; elles ont été mêlées aux origines de la Nouvelle-Orléans et connaissent leur importance. Six Ursulines arrivèrent de Rouen à l’appel de Bienville, qui avait fait venir de même les Jésuites, ayant besoin d’éducateurs pour les enfans de sa colonie. Le voyage des pauvres religieuses fut une terrible odyssée, il ne prit pas moins de six mois ; enfin elles passèrent d’un bateau criblé d’avaries dans des pirogues qui remontèrent le Mississipi jusqu’à un misérable village enfoui dans les roseaux. C’était la cité naissante. Sans perdre courage, elles se mirent à élever les Indiens et les nègres ; à prendre soin des trop nombreux malades ; puis elles eurent à recevoir les filles à la cassette, — des demoiselles honnêtes et pauvres que le roi envoyait épouser les colons, avec un trousseau contenu dans la cassette en question.


V. — LE RÔLE DES FEMMES DANS LE SUD

L’éducation coloniale fut d’abord entièrement entre les mains des ordres religieux ; le collège, qui s’ouvrit en 1805, a formé

  1. Mrs Newcomb, de New-York, était veuve d’un riche négociant de la Nouvelle-Orléans.