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l’admirable loi économique de la division du travail. Un canonnier ne tue pas de la même façon qu’un mineur, ni un mineur qu’un dragon, ni un dragon qu’un fantassin, et la part que prend à la bataille le servant d’une pièce d’artillerie qui porte les gargousses ne ressemble nullement à celle du lancier qui pique les fuyards. La représentation qu’on nous fera de l’un n’évoquera nullement l’idée complète de la bataille, parce qu’elle ne sera pas du tout la représentation de l’autre. Au contraire, un soldat romain frappe comme un autre soldat romain. Vainement on voudrait ici nous opposer la division des armées antiques en cavalerie, infanterie, et de celle-ci en infanterie de ligne et en ventes, en archers et fantassins répandus dans la cavalerie. Nous ne parlons pas ici de parade, mais de combat. Or, dans le combat, ils faisaient tous le même ouvrage. Le pilum une fois lancé, — et il ne menaçait que le bouclier de l’ennemi qu’il avait pour but d’embarrasser et d’appesantir, — on s’abordait à l’épée. Les archers et les frondeurs en arrivaient vite là s’ils se voulaient défendre. L’effet de leurs traits devait être bien peu de chose, puisqu’à Pharsale, par exemple, l’armée de César qui s’y trouva en butte ne perdit que deux cents hommes, tandis que les Pompéiens en perdaient quinze mille. Les cavaliers antiques, mal armés, sans étriers, ne faisaient pas de véritables évolutions de cavalerie, et nous voyons qu’ils mettaient pied à terre pour combattre. Polybe raconte qu’à Cannes les cavaliers romains et carthaginois sautèrent de cheval et saisirent chacun son adversaire. Tite-Live rapporte la même chose d’un combat contre les Herniques. On descendait aussi des chars : César dit que, dans une bataille contre les Bretons, les soldats des chars combattirent à pied avec avantage[1]. Ainsi, pas plus la cavalerie que l’infanterie légère ne donnait un aspect particulier à l’action. Toutes les théories tactiques qu’on a édifiées sur la phalange ou sur la légion ne doivent pas nous faire oublier que, pour combattre réellement son ennemi, le soldat était obligé de le joindre, et qu’à ce moment, quelle que fût d’ailleurs la résistance qu’on lui opposait, qu’il y eût choc, ou face à face, ou poursuite, on voyait apparaître un groupe de lutte, avec de belles armes, en de beaux mouvemens, qui personnifiait et résumait toute une bataille partout semblable à elle-même, — un groupe sculptural en un mot.

Voilà ce que la vie guerrière antique a fourni à l’art : voyons ce que l’art adonné à la vie. Il a enchanté les regards des enfans par l’image des combats où s’étaient illustrés leurs pères. Il a surtout ravi les grands enfans, qui sont les hommes, en leur contant les

  1. Colonel Ardant, du Pictj, Etudes sur le combat.