hasard et de soldats. Jusqu’à nos peintres, on a toujours montré la guerre, vue du côté du roi. Avec eux on la voit du côté du peuple.
Le chef disparaissant, les regards qui étaient tenus levés vers lui et comme distraits par cette incarnation de la patrie ont mieux aperçu les misères et les dégoûts de la guerre. Les anciens peintres montraient un chef rayonnant de joie et pas de blessés, les contemporains ne nous montrent pas le chef, mais ils insistent sur les meurtrissures de la chair à canon. Toute joie est tombée. Evoquez ces pages lugubres de Neuville, de Berne-Bellecour, de Morot, ces soldats harassés, hâves, maigris, couverts de givre ou de poussière ; les routes défoncées, les talus ensanglantés, les blessés grattant la terre de leurs doigts crispés, les ambulances, les bouillies de chairs vives, ces tas de débris de maisons môles de débris d’hommes, dont les premiers plans de ces tableaux sont encombrés. Et ne dites pas que ces peintres ont vu la guerre si laide parce qu’ils l’ont vue du côté de la défaite, semblables à ces blessés qu’on emporte du champ de bataille, qui peignent toujours la journée sous les plus noires couleurs parce qu’elle n’a pas été heureuse pour eux. M. Vereschaguine, qui est venu après eux, a peint la victoire ; il a vu les Puisses entrer à Plevna ; et ses tableaux sont à ce point navrans qu’un critique anglais disait qu’un seul d’entre eux « annulerait l’éloquence du plus persuasif des sergens recruteurs qui se tiennent au coin de Parliament Street[1] ». — Le panorama du siège de Paris, dont on se souvient sans doute, fut la première grande révélation de cet aspect de la guerre. On n’y voyait pas d’assauts brillans et héroïques, pas de luttes à gestes sculpturaux, pas de corps à corps, pas de ces mouvemens d’ensemble qu’on prête à une foule, et qui pour dix mille corps ne révèlent qu’une âme ; on n’y voyait même pas l’ennemi. La mort ne montait pas sur les remparts, comme une hydre magnifique, aux mille têtes étincelantes, ni avec des chants entraînans, des écharpes déployées, flottant au vent. Non. Çà et là, un homme s’affaissait comme pris d’un mal subit. On voyait des brancards, des civières, des linges ensanglantés. Les uniformes avaient pâli à ce point qu’on ne distinguait plus un militaire d’un civil, — c’est dire l’homme vêtu de bleu, de rouge et d’or, qui s’offre à la mort dans la force et la beauté de son âge, comme ce colonel de Vérigny qui réservait ses plus belles tenues pour les jours de combat[2], — et l’homme qui, lugubrement habillé de noir, semble porter toute sa vie le deuil d’une fin médiocre et d’un destin inutilement évité. Les officiers n’avaient plus en main le