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ESSAI SUR GŒTHE

II.[1]
LA CRISE ROMANTIQUE

Un des traits les plus caractéristiques de Goethe, c’est que son développement fut continu. Il ne s’arrêta jamais longtemps sur une idée ni sur un parti pris, tant que dura, du moins, la période de sa « formation » qui est, à coup sûr, la plus intéressante de sa longue carrière. Son développement représente alors et reproduit celui de ses contemporains : il traverse leurs expériences, il se pénètre de leurs pensées, il s’assimile sans efforts leurs modes et leurs goûts, qui se modifient assez vite, en sorte qu’il nous apparaît pour ainsi dire s’éloignant de lui-même et toujours différent. Il a beaucoup changé, il s’est rattaché à des écoles opposées, il a professé des doctrines contradictoires, et c’est peut-être bien dans ce perpétuel mouvement — dans cet « éternel devenir », comme il aurait dit, — que son génie a puisé le meilleur de sa force. Ainsi, sa première œuvre importante fut romantique. Mais il était, de sa nature, le moins romantique des hommes : le romantisme, qui convenait si bien aux Klopstock et aux Schiller, ne fut pour lui qu’une crise que déterminèrent certaines circonstances, assez artificielles en réalité, à laquelle il échappa de bonne heure et complètement. Nous voudrions, dans les pages qui suivent, en retracer les phases et en examiner le résultat le plus direct : ce drame de Gœtz de Berlichingen, qui demeure, avec ses imperfections, une des œuvres les plus vivantes de Goethe, une de celles qu’on peut encore goûter avec le plus de franchise.

  1. Voyez la Revue du 1er juillet.