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ressemblance, tels que Ulrich de Hütten ou Franz de Sickingen. C’était, tout simplement, un de ces Raubritter (chevaliers-brigands), dont les villes commerçantes de l’Allemagne, surtout Nuremberg, eurent tant à se plaindre, et qui finirent quelquefois ignominieusement suppliciés par les bourgeois vainqueurs. Il contribua, pour sa bonne part, à troubler ce qu’on appelle aujourd’hui la « paix publique », mot qui, sous l’empereur Maximilien, n’avait guère de sens. C’était un rude compagnon, farouche, violent, à qui plaisait la rapine, qui ne détestait ni le pillage, ni l’incendie. En 1504, à l’âge de 24 ans, il prit part, aux côtés du margrave d’Anspach, à la guerre de succession de Bavière ; un boulet de canon lui enleva la main droite. Il la remplaça par une main de fer, que lui fabriqua un armurier, et qui lui permit de manier encore la lance et l’épée. Cette main de fer dut frapper fortement l’imagination de Gœthe, à qui elle apparut comme un symbole de force, de courage et de loyauté. Mais le bon chevalier ne la leva pas toujours pour les meilleures causes. D’abord, il éprouvait un plaisir de soudard à s’en servir. C’était un bataillard, qui aimait pour eux-mêmes les coups qu’on donne et qu’on reçoit. Il entrait en campagne contre Nuremberg, par exemple, par simple amour de l’art, « parce qu’il avait eu envie de se mesurer un peu avec ceux de Nuremberg », dit-il. Ce goût du sang lui est si naturel, que, loin de s’en excuser, il s’en vante. Ecoutez, par exemple, le récit de cet épisode, et dites-moi si jamais on a plus allègrement célébré le plaisir de se battre : « Un jour, comme j’étais sur le point d’attaquer, j’aperçus une troupe de loups fondant sur un troupeau de moutons ; cet incident me parut d’un heureux augure. Nous allions commencer le combat ; un berger se trouvait tout près de nous, gardant ses moutons, lorsque, comme pour nous donner le signal, cinq loups se jettent en même temps sur le troupeau ; je le vis et le remarquai volontiers ; je leur souhaitai bonne réussite et à nous aussi, leur disant : « Bonne chance, chers compagnons, bon succès à vous, en tous lieux ! » Je regardai comme un fort bon signe que nous eussions commencé l’attaque ensemble… » S’il aimait à se battre pour le plaisir, Goetz ne détestait point non plus les bénéfices qu’on peut retirer des bonnes surprises et des bons guets-apens. S’étant emparé du comte Philippe de Waldeck, il ne le relâcha que contre une rançon de dix-huit mille florins. Lui arriva-t-il d’entrer en campagne pas pur amour de la justice, pour soutenir les droits lésés des faibles ? Goethe semble le croire, et raconte, comme s’il s’agissait d’un exploit très noble, la lutte que son héros soutint contre Cologne. Examinons cet épisode d’un peu plus près.