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Ce patriotisme se manifeste même dans les petites choses et dans les détails de la vie de tous les jours. Lorsque le gouvernement autrichien, à l’instigation des Hongrois, a cessé d’imprimer les billets de banque dans toutes les langues de la monarchie, et a mis en circulation de nouveaux billets en deux langues seulement, allemand d’un côté, magyar de l’autre, les Tchèques ont protesté à leur manière en écrivant à la main, sur tous les billets qui passaient par la Bohême, les mentions tchèques au-dessous des inscriptions officielles. C’était une besogne nationale : dans chaque maison, on y travaillait le soir à la table de famille. Il a fallu, pour y mettre un terme, décréter que les billets ainsi surchargés n’auraient plus cours.

Un « catéchisme national », publié cette année même et répandu à milliers d’exemplaires, contient, outre des renseignemens ethnographiques très précis, des prescriptions minutieuses sur les devoirs des Tchèques envers leur pays. Il faut qu’ils donnent à leurs enfans des noms tchèques, qu’ils emploient constamment la langue tchèque, sauf le cas de nécessité absolue, qu’ils disposent leur intérieur à la mode nationale, qu’ils ne laissent passer aucune occasion de se défendre pied à pied contre l’envahissement allemand, et de le manifester. Ces exhortations sont suivies à la lettre. Les journaux sont remplis d’annonces comme celle-ci : « Moulin à vendre, dans telles conditions. Ne sera vendu qu’à un Tchèque de patriotisme éprouvé. » Le moulin est en pays de frontière ethnographique : il ne faut pas y perdre un pouce de terrain, et le meunier est une sentinelle postée en face de l’ennemi qui ne saurait être relevée par le premier venu.


III

Un semblable effort témoigne, chez un petit peuple, d’une singulière vitalité. Pourtant il ne représente que la moitié de sa tâche : et il a eu à dépenser une énergie au moins égale dans une autre lutte, la défense des droits historiques de la Bohême contre la centralisation autrichienne.

Sur ce terrain, toutes les forces du pays devraient, semble-t-il, être unies. Tchèques et Allemands devraient lutter de concert pour la reconnaissance des droits et de l’autonomie de leur patrie commune. De fait, il en a été ainsi autrefois, au temps des illusions de 18t8. Mais les Allemands n’ont pas tardé à se séparer des Tchèques. Bien plus Allemands que Bohémiens, ce qu’ils désirent et appellent de tous leurs vœux, c’est le régime de centralisation allemande, qui réduirait la Bohême à l’état de province. Il a été