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Bohême, sur la frontière de Saxe, est-il le théâtre d’une immigration constante de Tchèques en pays allemand. Les écoles de la Matice, déjà très nombreuses sur ce point, les empêchent de se germaniser au contact des populations de la région, et il est permis d’espérer que plus d’un district purement allemand sera ainsi transformé, par lente infiltration, tout au moins en pays bilingue.

Les résultats acquis, depuis le commencement du siècle, sont de nature à justifier cet espoir et à donner aux Tchèques confiance dans leur avenir. Il y a soixante ans, Prague pouvait encore passer pour une ville allemande. Il y a quinze ans encore, elle semblait disputée entre les deux langues. Quel changement depuis ! A part le quartier des étrangers, où l’allemand se montre aux enseignes et s’entend dans les conversations à peu près comme l’anglais dans quelques rues de Paris, la ville est redevenue tchèque. Les quartiers de Vinohrady, de Novémiesto, de Smichov, sont entièrement tchèques, au point qu’il est souvent difficile, à celui qui ne parle que l’allemand, de s’y faire comprendre. A vrai dire, la ville n’avait jamais cessé d’être slave : elle avait pris seulement un vernis allemand qui faisait illusion, et qui a disparu, grâce aux efforts du patriotisme tchèque.

Ce patriotisme a véritablement fait des merveilles. Il n’est pas un paysan, un ouvrier en Bohême qui ne se considère comme un champion de sa nationalité et comme obligé de la défendre. C’est à l’aide de milliers de souscriptions recueillies obole par obole, que les Tchèques ont édifié leur musée national, qui est aujourd’hui une des gloires de Prague, et que les gens de province viennent, enfouie invraisemblable, visiter les dimanches, par manifestation de patriotisme. C’est de la même manière que, sans subvention d’aucune sorte, a été construit le théâtre national, élégant monument dans un site admirable, sur le quai de la Vltava, en vue des hauteurs du Hradçany. A peine construit ; depuis quelques semaines, en 1881, ce théâtre a brûlé de fond en comble. Le dévouement à la cause nationale ne s’est pas découragé : les souscriptions ont recommencé à affluer, et deux ans après, un nouveau théâtre plus beau que l’ancien s’élevait à la même place.

En ce moment même, une exposition tchéquo-slave, où tout ce qui touche à la nation tchèque et aux Slovaques de Hongrie a été historiquement et artistement groupé, attire à Prague tous les Tchèques du fond de toute la province. La visite de l’exposition est un devoir patriotique, une sorte de pèlerinage auquel chacun consacre ses économies.