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avec le moyen âge d’outre-Rhin. — La communauté de race permet de ranger Anglais et Allemands sous l’épithète de « germaniques », dira-t-on. — Je n’en sais rien. Que faites-vous du bon duc Rollon ? Pourquoi Flaubert ne serait-il pas un « esprit germanique » au même titre que Richardson, si par hasard ce dernier descendait d’une souche normande ?

Puisqu’on établit les classifications d’après ces lointaines origines, je demande à remonter hardiment un peu plus haut, jusqu’au Celte. Il formait le tuf même de la race dans les îles britanniques, avec des affleuremens encore reconnaissables sur certains points, là comme dans notre Armorique, dans notre Auvergne, et au pied des Alpes.

Il semble que le génie celtique nous soit familier, tant on s’accorde à nous le dépeindre avec des traits précis : poésie mélancolique, tendresse sérieuse, communion intime avec la nature, amour de l’aventure et de la liberté. On lui rapporte l’inspiration des plus vieux, des plus beaux poèmes que les bardes aient chantés des deux côtés du détroit. Le génie celtique est très loin dans le temps, sans doute. Mais qui n’a été frappé par un phénomène que l’on observe fréquemment, sur soi-même ou chez les quelques individus dont on connaît parfaitement toutes les origines héréditaires ? Durant les années de jeunesse et de force, ces origines s’accusent peu, l’homme s’adapte avec souplesse aux conditions des divers milieux où il se trouve, il leur emprunte une physionomie. C’est vers la vieillesse et sur le déclin qu’on voit reparaître, dans son esprit et dans son caractère, les indices fonciers de l’hérédité prédominante, le signe indélébile de la famille à laquelle il appartient le plus. N’en serait-il pas des races comme des individus ? Vieillissantes et affaiblies, seraient-elles sujettes à des retours d’atavisme, retrouveraient-elles la sensibilité particulière qui caractérisa leur enfance ? S’il en était ainsi, on pourrait supposer la réapparition d’un filon celtique, reliant tous ceux qui proviennent de cette souche : rien n’expliquerait mieux les affinités subites qui ont apparenté si étroitement la lignée des poètes anglais, depuis Shakspeare, et certains écrivains de chez nous : ce Breton de Chateaubriand et quelques autres de sa province, en qui le vieil Armor chante la chanson qu’il continue chez ses enfans de la grande île ; cet Alpin de Rousseau ; et je ne sais qui me tient d’ajouter : cet Auvergnat de Pascal. Celte à coup sûr, si le génie celtique est sérieux et inquiet, douloureux et hardiment libre. On se le figure, cent ans plus tard, gagné l’un des premiers aux résonances de sa propre âme qu’il eût reconnues chez les lyriques du Nord. Celte ou non, quand il n’y aurait pas