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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/696

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tant d’autres raisons de l’aimer, on le chérirait pour l’embarras qu’il leur donne, lorsqu’ils veulent réduire l’esprit français à leur médiocre type d’unité factice ; il est si grand, et d’une originalité si rude, qu’ils ne peuvent ni le négliger, ni le raccourcir et le ployer sur leur lit de Procuste.

Oui, le cette arrangerait tout ; il expliquerait Rousseau, et ses aspects divers, et le pouvoir du monstre ; il en expliquerait bien d’autres. Il n’y aurait plus de germanisme, plus même de cosmopolitisme dans l’affaire. Précieuse hypothèse ! Nous ne nous ferons pas tuer pour la soutenir. Elle s’accorderait pourtant avec la juste définition que donnait ici M. Fouillée, quand il écartait l’embrouillamini des théories anthropologiques sur les « Celto-Slaves ». — « Les races sont de simples types psychologiques… les races sont des sentimens et des pensées incarnés. » — Mais je n’ignore pas combien ce terrain est glissant. On y peut jouer un instant avec des intuitions, pourvu qu’elles ne dégénèrent pas en affirmations. La question des races est une question d’été, comme l’on dit, un de ces problèmes pour lesquels on cherche à loisir une solution élégante, au temps où chôment les débats passionnans.

Question d’été, aussi, le cosmopolitisme. Le livre de M. Texte fera entendre aux plus sourds qu’elle est vieille, et que le mal, si mal il y avait, a sévi durant tout le dernier siècle avec autant de force qu’aujourd’hui, préparant les maux dont ils se plaignent aujourd’hui. Dès lors, les classiques prétendaient que tous les livres avaient été écrits, que tout avait été dit, et qu’il ne fallait plus chercher des formes nouvelles. La sympathie pour les choses étant le principe et la raison de l’art d’écrire, cela revenait à dire : Tout a été aimé, il ne faut donc plus aimer. — Dès lors, il était trop facile de battre Voltaire avec son propre argument. Voltaire et ses tenans craignaient qu’on n’altérât la qualité maîtresse de l’art classique, de l’art français : l’universalité, qui en a fait l’art du monde entier. Comment ne voyaient-ils pas que la première condition, pour le maintien de cette universalité, est de suivre toujours les transformations et de répondre à toutes les exigences de l’univers ?

Les protectionnistes littéraires raisonnaient, devant une découverte de même nature, comme ces théologiens dangereux qui condamnèrent d’abord Galilée. Ceux-ci crurent l’Église menacée quand un homme vint leur dire : « Notre petite terre n’est plus le centre de la création, il y a d’autres mondes, l’infini du ciel s’en remplit. » Si, par impossible, l’Église avait persisté dans l’erreur de ces timides canonistes, si elle avait refusé d’étendre sa doctrine à