admettre que la réalité et l’enchaînement logique des faits. Il ne croit plus à l’intuition qui perçoit ces vérités, mais seulement à la dialectique qui discerne cet enchaînement. C’est la doctrine positiviste poussée à ses dernières conséquences, qui fait du monde une chaîne indéfinie de causes et d’effets, sans cause primordiale et sans but final. Logiquement il supprime la métaphysique. Le sentiment est une source d’erreur. À la place de Dionysos, symbole de l’inspiration et de l’extase, il met Socrate, non pas le Socrate véritable qui était loin de nier l’intuition, mais un Socrate de sa façon qui représente « l’homme scientifique ». Remarquons ici que cet homme scientifique selon Nietzsche, dépourvu d’intuition et par conséquent de sagesse, manque du centre véritable de toute science. L’idéaliste renégat attaque ensuite l’art et la poésie commodes ouvriers perfides de chimères dangereuses. Les poètes grecs eux-mêmes, qu’il avait tant admirés, ne sont plus maintenant que « des acteurs et des menteurs habiles à farder la vérité. » Ceux qu’il avait appelés « les inspirés, les voyans de la vérité dionysiaque » sont flétris comme « les ivrognes du sentiment. » L’enthousiasme est comparé « à l’eau-de-vie qui énerve et fait dépérir les sauvages. » Quant au génie, voilà comment on parle de lui : « Oh ! la gloire à bon marché que celle du génie ! Que son trône est vite élevé et son admiration changée en habitude ! Toujours on s’agenouille devant la force. Vieille coutume d’esclave ! » Jadis il avait vu dans le génie une sorte de miracle et le but même de l’humanité ; il n’y voit plus maintenant qu’un produit de l’atavisme. En morale, les conclusions de Nietzsche sont encore plus négatives qu’en esthétique et qu’en philosophie. Il admet la théorie positiviste de son ami Rée, dérivée d’ailleurs de Hobbes, d’après laquelle tous les phénomènes moraux n’ont d’autre mobile que l’égoïsme et se ramènent à l’intérêt. Il ne veut pas comprendre et nie péremptoirement toutes les actions nées de la sympathie spontanée, de la sympathie réfléchie et du concept social, qui sont autant d’oublis du moi, autant de cessations de la lutte pour la vie, autant d’affirmations de la loi universelle de solidarité et d’amour. La vanité humaine devient pour ce vivisecteur de l’âme « la chose en soi ». Après quoi l’exécuteur des hautes œuvres de l’athéisme transcendant s’écrie, fier de sa victoire : Fiat veritas ! pereat vita ! Périsse la vie plutôt que la vérité ! Sophisme et folie suprême de l’orgueil, — comme si la vérité n’était pas l’âme de la vie, et la vie la preuve de la vérité !
Ce n’est pas impunément qu’on jette l’anathème aux maîtres auxquels on doit son initiation, et ce n’est pas impunément qu’on maudit ses dieux. À partir de ce moment Nietzsche entre dans un