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« Etes-vous républicain ? — Oui, monsieur, je suis républicain, par la grâce de… l’Auteur de la nature. » Car c’est cela, et ce n’est que cela ; un catéchisme qui a détrôné l’autre, qui n’est pas mieux compris et qui pénètre moins. C’est cela : une sorte d’initiation religieuse, faite de trop bonne heure et qu’il est impossible ou très difficile de défaire ou de refaire plus tard. Et ce caractère religieux est si accusé, qu’un écrivain anticlérical et franc-maçon comme Bluntschli a proposé sérieusement d’instituer, vers la vingtième ou la vingt-cinquième année, une fête solennelle de la « confirmation civique ». Tant il pensait aussi que l’école laissait à faire, ou qu’il y avait après elle des pertes à réparer ; que le citoyen en exercice n’était plus que vaguement l’apprenti citoyen ; et qu’entre treize ans et vingt-cinq les vertus de l’éducation subissaient un inquiétant déchet !

L’école ne suffit donc pas : l’instruction primaire ne suffit pas, même renforcée d’une instruction civique sur manuels spéciaux. Certes, c’est faire quelque chose pour l’amélioration à venir du corps électoral que de réduire le nombre des illettrés, de ceux qu’en Italie, avec un sens plus lin des nuances, on nomme les sans-alphabet, analfabeti ; car c’est quelque chose que de savoir lire. Mais ce n’est pas assez, et même, au point de vue politique, comme d’ailleurs à tous les points de vue, ce n’est pas le plus important. Le plus important, le voici : Sachant lire, lira-t-on ? et, si on lit, que lira-t-on ? Et nous sommes amenés ainsi à rechercher ce que peut la presse, ce qu’elle vaut comme second facteur, comme auxiliaire, pour l’éducation du suffrage universel. Elle peut au moins autant que l’école. Mais « elle peut », en ce point, signifie « elle pourrait ». Elle pourrait infiniment si… Si elle n’était pas ce qu’elle est devenue.

Oui, si ceux qui l’ont en mains l’eussent voulu, elle eût pu modifier à la longue et façonner, transformer et conformer un peu le corps électoral. L’homme reçoit aisément ses pensées et ses opinions toutes faites. La presse avait donc devant elle un vaste champ d’action et, dans l’État moderne, un grand rôle à jouer, un rôle qui faisait d’elle, autrement que par figure de style, une puissance de l’État… C’est cette part essentielle dans la vie et dans la direction de l’État que John Stuart Mill revendiquait pour elle, quand il disait « qu’elle avait remplacé le Pnyx et le Forum, et que, grâce à elle, dans le régime représentatif, se conservait comme une trace de démocratie directe. »

Mais ce n’est calomnier, ni injurier, ni dénigrer personne que de le reconnaître sincèrement : nulle part, peut-être, elle n’a été, en tout cas elle n’est plus, à d’honorables exceptions près et sauf en ce qui touche le patriotisme, à la hauteur de sa mission. Nos