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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/821

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Et puis, n’y a-t-il pas abus à conclure de l’obligation de faire partie d’un conseil de famille, ou de l’obligation de remplir les fonctions de juré, ou de l’obligation de s’acquitter du service militaire, ou de l’obligation de payer l’impôt, — à l’obligation de voter ? Je sais toujours à qui l’on doit nommer un conseil de famille et qui peut être le tuteur ; de qui j’ai à apprécier les actes que l’on incrimine ; à qui, soldat, je dois obéir, et à qui, contribuable, je dois verser mon argent ; mais, électeur, je ne sais pas toujours pour qui je dois et puis utilement voter. Lorsque je sors du régiment, j’en sors libéré du service ; lorsque je reviens de chez le percepteur, j’en reviens libéré de ma dette ; lorsque je reviens du scrutin, je n’en reviens pas toujours représenté. Néanmoins me contraindrez-vous à aller perdre mon temps pour égarer ma voix, s’il n’y a, d’aventure (et c’est une aventure fréquente), aucun des candidats en qui j’aie confiance ? Et, à défaut de l’acte utile, m’astreindrez-vous au simulacre ? Devrai-je faire, de par la loi, le geste auguste de l’électeur ? — Ombres lamentables et lamentables urnes !

Toutefois, à condition de ne pas s’accrocher opiniâtrement à « la souveraineté du peuple », peut-être serait-il, un jour, possible et légitime de rendre le vote obligatoire ; mais seulement après qu’on aurait assuré à tout électeur le vote utile. Les Belges eux-mêmes n’ont pas superposé le vote obligatoire au suffrage universel pur et simple et complètement inorganique. Et nous en revenons encore au même point : que de tenter, présentement, l’éducation du suffrage universel et d’établir, présentement, l’obligation du vote, ce sont bien, si l’on veut, des expédiens, dont le bénéfice d’ailleurs est, présentement, incertain ; mais que l’un ne dispense point d’organiser le suffrage universel, et que l’autre est inacceptable, à moins que le suffrage universel n’ait, avant de l’admettre, été organisé. Peut-être aussi, quand, en organisant le suffrage universel, on aura rendu le vote sûrement utile, pourra-t-on faire l’économie d’une contrainte, et sera-t-il alors inutile de rendre le vote obligatoire.


II. — CHANGEMENS SEULEMENT DANS LA FORME

De ces expédiens, ou de ces palliatifs, l’éducation du suffrage universel et l’obligation du vote, — l’éducation est difficile à faire, elle serait constamment à recommencer ; — l’obligation est difficile à imposer, tant que l’utilité du vote n’est pas garantie à tout électeur. Mais n’étaient ces difficultés, ces doutes sur l’efficacité de l’éducation et sur l’équité de l’obligation, pour l’éducation, il n’y aurait qu’à l’entreprendre, et il n’y a même pas de loi à