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prosélytes ; cependant ils avaient pu y vivre sans être trop inquiétés, grâce à la complaisance secrète des magistrats qui éludaient l’exécution des peines sévères édictées contre l’hérésie. Jean Rubens ne laissait pas d’être porté lui-même vers les nouvelles doctrines, mais il évitait de se compromettre trop ouvertement. En sa qualité d’échevin, il avait même été plus d’une fois chargé par les gouvernans d’instruire des affaires relatives à l’orthodoxie de certaines personnes qui paraissaient suspectes. C’est ainsi, notamment, qu’au mois de juillet 1564, il avait eu à interroger les luthériens Christophe Fabricius, qui devait payer de la vie ses opinions religieuses, et Olivier Bockius, impliqué avec lui dans cette poursuite. Epoque étrange, où le magistrat auquel était confiée l’instruction d’une pareille affaire se sentait lui-même suspect et passait pour l’un des chefs du parti calviniste ! Peu à peu, des deux côtés, la lutte était devenue de plus en plus vive ; des mémoires, des controverses et des pamphlets d’une violence extrême étaient échangés. Sentant l’intérêt qu’il y aurait pour eux à gagner à leurs idées un centre aussi important qu’Anvers, des ministres protestans étaient venus s’y installer d’Allemagne, de Suisse et de Hollande, et ils trouvaient en face d’eux des adversaires non moins résolus, parmi lesquels on remarquait au premier rang les membres du clergé régulier, entre autres le théologal de la cathédrale, Sébastien Baerts, et des étrangers accourus pour les assister comme le jésuite Classonius et le Français Jean Porthaise, archiprêtre de l’église de Poitiers.

Surveillé de près, signalé même comme « le plus docte calviniste », Rubens essayait de louvoyer ; mais à la fois très ardent et pas très brave, il se voyait souvent obligé, pour ne pas trop se compromettre, d’effacer l’effet de ses imprudences par ces capitulations de conscience auxquelles étaient alors exposés les esprits flottans et ballottés, comme le sien, entre les partis extrêmes. Cependant à la suite de la Destruction des Images (1566), s’avançant un peu plus qu’il n’aurait souhaité, il avait consenti, sur la requête du prince d’Orange, à servir d’intermédiaire entre le Magistrat et les réformés, et il avait même été préposé, avec d’autres de ses confrères, à la garde des portes de la ville.

De terribles représailles allaient bientôt suivre. Marguerite de Parme, nommée gouvernante des Pays-Bas, demandait, le 2 août 1567, au Magistrat une explication sur la conduite de ses membres pendant les troubles. Ceux-ci ayant tardé à répondre furent sommés de nouveau d’avoir à consigner dans un mémoire tout ce qu’ils pourraient alléguer pour leur justification. Ainsi mis en demeure, les bourgmestres et les échevins s’occupèrent de la rédaction de ce mémoire, qui fut remis, le 8 janvier 1568,