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et il mourait à son tour[1] en 1600 ; enfin l’aînée des filles, Blandine, le suivait d’assez près, en 1606.

Il y a plus, nous le croyons du moins, ni Philippe, ni Pierre-Paul, nés tous deux à Siegen, n’ont connu toute la vérité. Le secret vis-à-vis d’eux était facile à garder. Quand la famille quitta Siegen, Philippe n’avait que quatre ans et son frère n’avait pas encore accompli sa première année. A raison de leur âge et de l’existence très accidentée qui les attendait tous deux, rien n’était plus aisé pour cette mère prévoyante que d’engourdir et d’éteindre des souvenirs qu’elle voulait effacer de leur esprit. L’hérésie momentanée de la famille, la faute de Jean Rubens et son incarcération, c’étaient là autant de taches qui pouvaient compromettre leur nom et leur avenir. Dans leur extrême enfance, leur mère n’avait pas de confidences à leur faire à ce sujet ; plus tard, elle ne voulut pas qu’ils eussent à rougir de leur père, et le meilleur moyen, le plus sûr et le plus noble de conserver ces secrets c’était de les garder vis-à-vis d’eux-mêmes. Elle pouvait d’autant mieux les leur dérober que seule elle en était dépositaire. Par la suite, à l’âge où Pierre-Paul aurait pu l’interroger, il était loin d’elle, en Italie, et il ne devait plus la revoir. C’est donc en toute sincérité que sur le déclin de sa vie, au moment où l’esprit se reporte avec complaisance vers les souvenirs de la jeunesse, le grand artiste pouvait parler, dans une lettre célèbre à Geldrop, de la grande affection qu’il avait gardée pour cette ville de Cologne où il était resté jusqu’à sa dixième année.

On sait que, dès son retour à Anvers, Maria Pypelincx, avec son intelligente sollicitude, avait fait donner à ses fils une instruction qui leur permît de se créer des positions honorables. Mais, malgré la vigilance avec laquelle elle s’appliquait à réunir les épaves de son modeste avoir, elle n’était point en état de continuer bien longtemps les sacrifices qu’exigeait l’éducation de ses enfans. De bonne heure, ils avaient dû apprendre à se tirer d’affaire en gagnant eux-mêmes leur vie. Philippe, l’aîné, tout en poursuivant ses études de droit, était devenu précepteur des fils du président Richardot dont il avait été d’abord secrétaire. Quant à Pierre-Paul, après avoir été attaché en qualité de page à la maison de la comtesse de Lalaing, sa mère, reconnaissant qu’il n’y avait pour lui aucune issue de ce côté, l’avait bientôt laissé libre de suivre la vocation qu’il montrait pour la peinture. Plus tard, quand le jeune homme, ayant épuisé les enseignemens qu’il pouvait trouver à Anvers, manifesta le désir de se perfectionner en Italie, Maria, malgré le chagrin que lui causait son

  1. Bulletin Rubens, I, p. 57.