Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/899

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leurs impressions personnelles. Le public auquel ils s’adressent est plus blasé qu’ignorant et a plus besoin d’être réveillé que d’être instruit. William Archer est un initiateur ; il a eu à s’ouvrir passage à travers une forêt de préjugés ; en tout, il doit remonter aux élémens, prouver des principes que nous ne discutons plus, accomplir, en un mot, une tache qui ressemble quelque peu à celle de Lessing dans la Dramaturgie de Hambourg. En tirant des milliers d’articles qu’il a publiés depuis vingt ans les questions qu’il s’est posées et les réponses qu’il y a faites, on composerait un corps de doctrine assez complet sur les problèmes, grands ou petits, qui touchent l’art et le métier de l’acteur, de l’auteur et du critique de théâtre.

Sa conception du théâtre est très large. Il le considère comme une réunion, un rendez-vous de huis les autres arts. Jusqu’où va la vie, aussi loin va le domaine du théâtre. Il accepte toutes tes formes et tous les genres, pourvu que ce ne soient pas des importations exotiques et qu’ils répondent à un besoin de l’âme des foules. Ainsi le mélodrame n’est, pour lui, que « la tragédie illogique », et, quant à la farce, il ne s’inquiète point de ses progrès, car « une farce vraiment gaie vaut mieux qu’un drame prétentieux et raté. » La duperie serait de les juger d’après les lois de l’esthétique : « On ne prend pas, dit-il, la hauteur d’un pain de sucre avec des observations barométriques. » Le drame lui-même peut exister en dehors de la littérature. C’est précisément le cas où se trouvait le drame anglais il y a dix ou quinze ans. La mission de la critique, suivant M. Archer, était de l’élever à la dignité d’un genre littéraire, de le réconcilier avec la littérature. Quelle critique conviendra-t-il d’y employer ? La critique analytique ou la critique dogmatique ? la critique comparative, anecdotique, humoristique ? Elles ont, toutes, l’une après l’autre, leur utilité et leur moment, à condition d’être sincères et indépendantes.

« Une pièce doit contenir ces trois élémens : une peinture, un jugement, un idéal. » Sur le premier point se pose la grosse question du réalisme au théâtre. M. Archer résume en un dilemme les objections des adversaires du réalisme : « Ou bien vous me montrez sur la scène ce que je vois, ce que j’éprouve moi-même tous les jours, et alors où est la nouveauté, où est la leçon ? Ou bien vous me présentez des objets, des mœurs, des sentimens inconnus, et alors comment puis-je juger de leur degré de réalité ? » M. Archer répond que le théâtre nous force à « observer, » c’est-à-dire à voir et à sentir d’une façon particulière tout ce que nous voyons et sentons dans la vie ordinaire sans y prendre garde et sans en tirer aucune conclusion. Quant aux sensations que nous n’avons