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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/898

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humaines, l’expression ordinaire et la commune limite de l’éloge.

Les deux écrivains qui s’étaient rencontrés dans la petite boutique du London Figaro, près du vieux Temple bar, aujourd’hui disparu, en face de l’emplacement où devait s’élever le Palais de Justice, Clément Scott et William Archer n’étaient séparés que par quelques années ; mais ils représentaient, dans leur profession, des temps, des écoles, des tempéramens opposés. Scott a été le critique de l’ère robertsonienne ; Archer est le critique du drame actuel et, jusqu’à un certain point, du théâtre de demain.

S’il est, à l’heure actuelle, une douzaine d’hommes en qui l’Angleterre vivante et pensante prend conscience d’elle-même, William Archer est un de ces douze. Sa passion pour le théâtre — il en a raconté les débuts dans une délicieuse préface adressée, l’année dernière, à son ami Robert Lowe[1] — date de sa première jeunesse, et aucun élément impur ou intéressé ne s’y est mêlé. Il n’a jamais écrit de pièces, ou, du moins, n’en a jamais fait jouer aucune. Par principe, il s’abstient de fréquenter les coulisses et d’entretenir des relations personnelles avec les artistes. Il est tout à sa mission de critique, et, pour la mieux remplir, il a étudié tout le passé du théâtre national et toutes les littératures dramatiques, mortes ou vivantes. Il est un répertoire, une bibliothèque de références ; mais, à la différence de beaucoup d’érudits, il met toujours une idée féconde à côté d’un renseignement précis. Sur tout ce qui touche son métier, il pense et fait penser. En même temps qu’il devenait un pénétrant critique, il est resté un « petit journaliste » hors pair. L’humour, dont il est plein, coule à torrens sur tout ce qu’il écrit ; un humour facile, limpide, vif et délicat, où je n’ai jamais rencontré une défaillance de goût ni une touche de pédantisme. Je ne crois pas que, dans toute sa vie, il ait imprimé une ligne insipide ou obscure. Il voudrait ennuyer qu’il ne le pourrait pas : la gaîté, le bon sens et l’esprit l’accompagnent et ne le quittent jamais.

Pour le faire comprendre à des Français, le plus court serait de le comparer à quelqu’un des critiques dramatiques de cette génération ou de celle qui l’a précédée, et, par exemple, de faire voir en quoi il se rapproche de M. Francisque Sarcey ou de M. Jules Lemaître, en quoi il s’en éloigne. Mais la comparaison est impossible, parce que les situations diffèrent ici encore plus que les talens. Les excellons écrivains que je viens de nommer sont, chez nous, les gardiens et les interprètes d’une tradition consacrée par des chefs-d’œuvre ; ils la restaurent ou l’affinent soit par la vivacité et la bonhomie, soit par la délicatesse et la grâce

  1. William Archer, the Theatrical world fur 1893.