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une réunion de la Société des agriculteurs de France, et dès lors toutes les forces de la France agricole, toute l’armée des syndicats, des unions régionales, des associations rurales, ont été enrôlées contre la tyrannie de l’étalon d’or. On n’ignore pas que M. Ribot, au nom du gouvernement, a promis l’appui officiel à cette nouvelle croisade.

L’agriculture est également devenue bimétalliste en Allemagne. On sait quel tapage ont fait les agrariens, il y a quelques mois seulement, dans les assemblées législatives de l’empire et de la Prusse. Ces gens-là ne s’attardent pas à disserter sur la possibilité, pour la culture du sol, de se relever de sa détresse par le perfectionnement scientifique des méthodes ou par le développement de l’enseignement rural. Ce qu’ils veulent, c’est un bénéfice industriel garanti par des décrets du gouvernement. Les prix des céréales s’obstinant à baisser, le pouvoir impérial a été sommé de commander la hausse : 1° par la réforme monétaire, 2° par l’attribution à l’État d’un monopole du commerce des blés importés, invention dont la paternité appartient de ce côté-ci des Vosges à M. Jaurès, et de l’autre côté au comte Kanitz, hobereaux et socialistes s’étant rencontrés en ce point, comme il leur arrive, on le sait, sur un assez grand nombre de questions. Le gouvernement impérial s’est efforcé d’amadouer les agrariens sur la réforme monétaire, en consentant à participer à une conférence internationale. Mais lorsque une grande partie du Landtag, entraînée par le porte-paroles des grands propriétaires fonciers, a osé demander que le gouvernement de l’Allemagne eût seul le droit d’importer et de vendre, à des prix artificiellement établis, des céréales étrangères, l’empereur et ses conseillers ont opposé à ces excessives prétentions un non possumus fondé, à la fois, théoriquement sur le respect des lois économiques les plus élémentaires, pratiquement sur l’existence des traités de commerce conclus avec les nations voisines. La motion du comte Kanitz a été solennellement condamnée dans la consultation extraordinaire d’un Conseil d’État exhumé pour la circonstance, et les agrariens, tout en maugréant fort, ont dû se contenter de quelques vagues promesses bimétallistes.

Les hommes qui se sont donné pour mission, en France, de parler au nom des intérêts de la démocratie rurale, ont applaudi à cette levée de boucliers de l’agriculture allemande. L’exemple tes a piqués d’émulation ; ils n’ont pas hésité à réclamer un surcroît de protection douanière, soit le retour au droit gradué[1],

  1. M. de Dampierre, président de la Société des agriculteurs de France, a adressé aux syndicats agricoles une circulaire les invitant à l’aire signer dans leur circonscription une pétition pour l’établissement d’un droit gradué sur les blés étrangers. Il rappelle que la Société, dans sa séance du 15 février dernier, a émis les vœux suivans : « 1° Qu’il soit établi, à l’entrée des blés étrangers, un droit de douane gradué qui, partant de zéro quand le cours moyen des marchés français serait de 30 francs le quintal, s’élèverait automatiquement centime par centime, inversement au cours moyen de nos marchés, à mesure que ce cours moyen descendrait au-dessous de 30 francs ; 2° que le projet de loi du cadenas soit volé et appliqué dans le plus bref délai possible, et notamment avant toute modification au régime douanier actuel. »
    La circulaire se termine ainsi : « La crise aiguë et persistante que subit l’agriculture, et le prix ruineux auquel est tombé le blé, malgré le vote du droit de 7 francs, m’a dispensent d’insister sur l’urgente nécessité des mesures indiquées dans le vœu ci-dessus et dont les cultivateurs ont déjà, de toutes parts, réclamé l’adoption. Il importe de rendre efficace la protection que les pouvoirs publics ont entendu accorder à la première de nos cultures. Sa disparition, ou même sa réduction consommerait, en effet, la ruine de l’agriculture, précipiterait la dépopulation des campagnes, et serait, pour la France entière, un véritable désastre national. »