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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/909

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(40 centimes) la livre anglaise, il y a deux ou trois mois, que les planteurs américains ne peuvent plus avec cette culture réaliser aucun profit, si même ils ne subissent des pertes, qui menacent de les ruiner en un petit nombre de saisons aussi désastreuses. Le prix s’est légèrement relevé, sur l’annonce que les surfaces cultivées en coton seraient inférieures de 15 à 20 pour 100 en 1895 sur le total de l’année dernière. Les producteurs de coton seront sans doute forcés d’en venir au système du syndicat pour la production réduite. En Europe, on ne voit guère d’autre remède aux pertes qu’a déjà produites la crise sucrière.

L’histoire économique du monde pendant les vingt-cinq dernières années, quelle que soit la denrée dont on s’occupe, redit en effet la même plainte d’une production énorme à des prix qui ne sont plus rémunérateurs. Depuis 1873, le prix du blé américain a été précipité de 143 cents par bushel à 63, l’avoine s’est dépréciée de 56 à 32 cents, l’orge de 82 à 47 ; la valeur des bœufs a fléchi de 35 pour 100, celle des vaches laitières de 40 pour 100. De ce que la terre est sans prix aux États-Unis, et que les déserts y sont maintenant sillonnés de voies ferrées, la compétition pour la fourniture des marchés d’Europe y est devenue gigantesque, et l’agriculture américaine succombe ; écrasée sous le poids de son énorme et trop rapide développement.

Dans ces vastes régions de l’Ouest où la population clairsemée produit infiniment plus qu’elle ne peut consommer, l’avilissement des prix a engendré le fléau de l’hypothèque et assuré une clientèle électorale nombreuse et bruyante aux doctrines économiques fondées sur l’accroissement indéfini du volume de la circulation monétaire par l’extension de l’usage de l’argent, question qui a dominé toute la vie politique aux États-Unis pendant les derniers six mois.

Il est curieux d’observer que la crise agricole serait encore bien autrement grave on Amérique si l’Angleterre, ayant cessé elle-même de produire des céréales en quantité suffisante pour sa consommation, n’offrait un énorme marché à l’excès de production américaine. En 1893 le Royaume-Uni a pris 56 pour 100 de toute l’exportation des États-Unis, achetant à ce pays pour plus de 1 600 millions de francs de denrées alimentaires, de coton et de tabac, et pour plus de 100 millions de francs de bétail vivant.


III

On commence à entrevoir cependant des temps meilleurs pour les producteurs américains comme pour ceux d’Europe. Dans les deux mondes ont apparu les mêmes signes d’un