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dans le voisinage d’Osaka et de Kioto, comptant près de 800 000 broches et représentant un capital, entièrement indigène de 20 millions de piastres, produisant en 1894 un demi-million de balles de filés d’une valeur brute de 100 millions de francs. C’est par bonds énormes, disent les documens consulaires, que ce mouvement s’est développé[1]. Il est probable qu’après avoir anéanti le prestige militaire de la Chine, le Japon va travailler à faire la conquête économique de cet immense empire. Il y a là un marché de 400 millions d’êtres humains, qu’il compte bien gagner peu à peu à ses produits. L’île de Nippon, cette Grande-Bretagne du Pacifique, a des côtes admirablement découpées, des ports vastes et sûrs, de nombreux cours d’eau, des routes. Elle possède le charbon, la matière première par excellence. Sa houille fait concurrence sur la place de Singapore à celle de l’Angleterre. Les gîtes actuellement exploités donnent 2 millions de tonnes par an, et en contiennent, d’après des évaluations résultant d’études sérieuses, près d’un milliard. Le soi a d’autres richesses, du cuivre, de l’or, de l’argent, du plomb, de l’étain, des réserves colossales de minerai de fer. L’art métallurgique est pourtant encore rudimentaire en ce pays, l’extraction du minerai n’ayant pas dépassé jusqu’ici 16 000 tonnes pour une année.

Les Japonais se sont pris d’un engouement très vif pour les constructions de chemins de fer. Dans la seule année 1893, le gouvernement a concédé à diverses compagnies une dizaine de lignes, comptant ensemble 1 500 kilomètres. Les rails et les locomotives ont été jusqu’à présent achetés à l’étranger. Pour les wagons, il n’est venu du dehors que les essieux et les roues. On a commencé, en 1894, à construire des locomotives. Dans les arsenaux appartenant à l’État ou à des compagnies particulières, on fabrique des chaudières pouvant développer jusqu’à 1 000 chevaux. Le dock de Nagasaki a construit et lancé l’an dernier un navire à vapeur en fer de 1 750 tonneaux, le plus grand bâtiment de commerce sorti d’un chantier japonais[2].

  1. Un rapport de la Chambre de commerce de Yokohama du 5 mai 1894 nous apprend que l’importation des premières machines à filer le coton date de 1875. A la fin de 1883, on comptait 16 filatures avec 45 000 broches ; en 1888, 24 filatures et 88 000 broches ; en 1892, 39 filatures et 403 000 broches ; en 1893, 46 filatures et 600 000 broches : en 1894 enfin, 50 filatures et 780000 broches. On trouve encore dans ce rapport que, en 1893, tandis que 67 filatures du Lancashire avaient été en perte de 411 000 livres sterling, 21 filatures japonaises donnaient en moyenne 17 pour 100 de dividende. C’est l’Inde anglaise qui fournit principalement le coton brut que le sol japonais ne peut produire. Nos cotons cambodgiens et tonkinois trouveraient au Japon un débouché d’une grande valeur, car les Japonais, avant dix ans, expédieront des filés en Chine et aux Philippines, et ils travaillent dès maintenant à installer l’outillage nécessaire à la fabrication des cotonnades imprimées que leur vend encore l’Angleterre.
  2. Rapport du vice-consul de France à Nagasaki pour 1894.