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de retomber sur la note finale, le plaisir qu’on en éprouve est vraiment trop inoffensif pour qu’on puisse s’aviser de le trouver inutile.

En même temps qu’il remettait au point les parties de chant, M. Chrysander s’est encore efforcé de nous restituer, telle qu’à l’origine elle devait être, l’orchestration de ces oratorios de Hændel. Et ici encore on ne saurait trop le louer du résultat de son travail. Suivant les intentions expresses du maître, il a divisé l’orchestre en deux parties, le grosso et le ripieno, le grosso chargé de l’accompagnement des soli, le ripieno plus spécialement destiné, dans les passages où il internent, à faire de l’orchestre comme un double chœur opposé au double chœur des voix. Et, toujours suivant l’intention expresse de Hændel, c’est au cembalo ou clavecin que M. Chrysander a confié le soin de marquer le rythme dans tous les morceaux, et de remplir l’harmonie dans les morceaux sans accompagnement. Peut-être seulement, sous prétexte de remplir l’harmonie, M. Chrysander a-t-il parfois prêté à la partie de cembalo des harmonies bien singulières, et d’un romantisme un peu trop wagnérien ? Après cela, qui sait ! Ce Hændel était un homme de ressources si variées, et les inventions les plus imprévues lui coûtaient si peu !

La musique des oratorios ainsi restituée, il s’agissait maintenant d’en traduire les paroles. L’entreprise, à dire vrai, n’était difficile que pour ce qui touchait le récitatif ; car dans les airs, les duos, et les chœurs, le détail des mots n’a guère d’importance, et les vers de M. Chrysander rendent le plus souvent assez bien la signification générale du texte anglais qu’ils remplacent. Mais il en allait autrement du récitatif, surtout dans des œuvres toutes dramatiques, comme Samson, Judas Macchabée, ou Hercule, où c’est le récit qui constitue la base même du drame, un récit condensé à tel point qu’on n’y trouverait pas un seul mot qui ne porte. Dans ces conditions, il a paru à M. Chrysander qu’il avait le devoir de choisir entre les paroles et la musique : et, très courageusement, il a choisi les paroles. Il a traduit littéralement, avec une fidélité scrupuleuse, le texte anglais des récitatifs, après quoi il a modifié la musique pour la mettre d’accord avec le texte nouveau. Et c’est, en vérité, de toutes ses innovations, celle qu’il m’est le plus malaisé de lui pardonner. Car il a beau dire que c’est le drame qui importe avant tout, je ne peux me résigner à voir ainsi altérer, mesure par mesure, l’harmonieux caractère des phrases de Hændel : sans compter qu’on dirait par instans que ce n’est point pour mettre la musique d’accord avec sa traduction, mais pour l’embellir et la rendre plus expressive, que M. Chrysander l’a si librement remaniée. Dans ces récitatifs d’une simplicité toute classique, il a introduit les accidens les plus variés, dessinant des mélodies pour ne pas faire répéter plusieurs fois la même note, bouleversant le rythme à sa fantaisie. Je sais que ces questions de traduction sont toujours infiniment compliquées ; mais outre que la langue allemande est assez parente de l’anglaise