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européens, pour diverses raisons qu’il importe de bien mettre en lumière.

La plus grande partie de la dette se trouve aux mains de l’étranger ; qu’un jour les porteurs de rentes, pour un motif ou pour un autre, veuillent réaliser leurs titres, et le crédit public recevra une atteinte ; alors même que la situation financière ne serait pas intrinsèquement modifiée, les marchés pourraient être ébranlés, comme ils ont failli l’être lorsque l’Allemagne, docile à la voix de M. de Bismarck, a bruyamment réalisé son portefeuille russe, et comme ils l’eussent été à coup sûr sans l’intervention puissante des capitaux français. De plus, cette dette extérieure est payable en or, c’est-à-dire dans une monnaie qui n’est pas celle du pays, dont l’étalon est le rouble-papier. Nous ne reviendrons pas sur les inconvéniens de cette organisation que nous avons exposée plus haut et qui, réduits aujourd’hui au minimum, éclateraient à la première crise. Nous rappellerons seulement que la Russie court de ce chef un double danger : elle a le papier-monnaie et une Banque d’État. Lorsqu’en effet le billet de banque est créé par un établissement particulier, si même il reçoit le cours forcé, cet établissement représente une force indépendante qui peut dans une certaine mesure résister à l’État : le billet de la banque austro-hongroise sert aujourd’hui de pivot à la réforme considérable qui se poursuit à Vienne et à Budapest et qui doit avoir pour résultat de faire reprendre les paiemens en espèces, après que tous les billets d’État, qui circulaient concurremment avec ceux de la Banque, auront été retirés. Une banque d’émission privée rend au gouvernement des services d’autant plus précieux qu’elle aura mieux défendu son autonomie : la Banque de France en a donné le plus illustre exemple lors de la guerre contre l’Allemagne. La Russie au contraire n’a jamais, jusqu’à ce jour, voulu même examiner l’idée de confier à un établissement particulier le droit d’émettre de la monnaie de papier, qu’elle considère comme un apanage de la souveraineté et qu’elle entend exercer directement. Une des raisons qui contribuent à la maintenir dans ces dispositions est que la totalité du capital à réunir ne se trouverait pas sans difficultés dans le pays, et qu’il faudrait faire appel à l’étranger, dont elle n’admettrait à aucun prix l’ingérence en cette matière.

Peut-être dans quelques années l’enrichissement de la nation permettra-t-il au ministre des finances de faire souscrire à l’intérieur des frontières toutes les actions d’une Banque de Russie nouvelle : il lui suffirait de s’inspirer des statuts de la Banque de l’Empire allemand pour conserver au gouvernement une influence prépondérante dans la direction et s’assurer la meilleure part des