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déclarations du gouvernement. Le président ayant donné lecture de cet ordre du jour : « Je l’accepte, s’est écrié M. Crispi, avant même de savoir quel en était l’auteur. — Je vous fais observer, a dit alors M. Villa, qu’il porte la signature de M. di Rudini. — Je l’accepte quand même », a répliqué M. Crispi. Et l’ordre du jour a été voté à une écrasante majorité, presque à l’unanimité de la Chambre : l’extrême gauche seule a refusé de s’y associer.

Qui aurait cru, il y a quelques semaines encore, alors qu’une lutte si chaude se déroulait sur le terrain électoral entre M. Crispi et ses adversaires, que le plus qualifié de ces derniers, le marquis di Rudini, au moment de la clôture de la discussion du plus important des budgets, déposerait un ordre du jour qui ressemble, en vérité, à un ordre du jour de confiance ? Et pourtant il en a été ainsi, soit que le patriotisme de la Chambre ait fait disparaître pour un moment toutes les hostilités personnelles, toutes les divergences de partis, soit que les passions aient été un peu usées par leur violence même et que la lassitude générale ait amené un désarmement passager. Ici encore on peut voir un nouvel exemple, et nous en avons montré plus d’un dans cette chronique, de ce que la situation de l’Europe a souvent d’imprévu, tantôt en bien, tantôt en mal, sans qu’on puisse encore assigner un terme à une évolution qui se poursuit. Il y a quinze jours, les troubles de Macédoine inquiétaient ; l’horizon de la Bulgarie semblait au contraire se rasséréner du côté de la Russie. Aujourd’hui l’horizon bulgare se couvre au Nord de ténèbres, en même temps que, par une compensation heureuse, au Sud l’agitation macédonienne a pris fin. Mais la question arménienne est toujours ouverte. Mais le règlement des affaires pendantes entre la Russie et le Japon en Extrême Orient n’est pas terminé. Mais des massacres de missionnaires ont de nouveau ensanglanté le sol de la Chine. Plus d’un point demeure obscur dans le monde. On attend quelque chose de lord Salisbury, sans savoir quoi. Et tout ce qu’on peut dire, c’est que nous sommes à un de ces momens de l’histoire où la diplomatie a besoin de toute sa vigilance pour suppléer à ce que la perspicacité la plus éveillée ne permet pas toujours de prévoir.


Francis charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.