cosmopolites ont éteint, chez les magnats croates, l’esprit national. Ils ne saisissent même pas très bien pourquoi, à la fin du XIXe siècle, leurs compatriotes aspirent à faire figure de nation. Leurs traditions, non moins que le néo-occidentalisme des Hongrois, les inclinent vers cette race, séduisante sous bien des rapports, dont, après les gloires, ils affectent de partager les plaisirs. Il est fort peu d’aristocrates, en Croatie, qui disent avec fierté : Notre peuple. Ceux qui le disent ont pourtant raison. Le peuple est ce que les Croates ont de meilleur. Il a conservé le dépôt de la foi, de la langue ; il a le culte du souverain, de la patrie, et une rare aptitude au dévouement. Seulement, rien ne le prépare à la vie politique, et sous le régime du cens électoral il y est appelé fort peu. L’ancienne noblesse s’en éloigne, non qu’elle le tienne pour démocrate, — ce serait prématuré, — mais parce qu’elle ne voit en lui qu’une force inférieure et barbare. Il y a un monde, on le sent, entre les mélancolies de la plaine slavonne, l’hymne d’avenir qui monte sur les basses grêles de la tambourica, et les élégances du féodalisme boulevardier.
Entre ces extrêmes, un tiers état s’élabore. Dans un pays presque dépourvu de commerce et d’industrie, ces hommes du tiers ne peuvent guère être que des intellectuels ou des prédestinés au fonctionnarisme. Sous l’uniforme, beaucoup de ces derniers, surtout parmi les modestes, gardent l’amour du pays et l’aversion du Magyar. Mais celle aversion ne saurait être publique, encore moins communicative. Au vote, il faut soutenir le gouvernement, ombrageux en Transleithanie plus qu’ailleurs. Restent les savans, les lettrés, le groupe des professions libérales, les propriétaires aisés, quelques représentans de la noblesse récente, confinant à la bourgeoisie, surtout les prêtres. Dans l’histoire de la vie nationale, le clergé mérite une place et un éloge à part. Il a séparé sa cause de celle de la haute aristocratie dont ses intérêts temporels auraient pu le rendre solidaire. Il fut l’âme de l’opposition ; il l’est encore.
Telle est l’avant-garde que la Croatie a pu mettre en ligne contre la magyarisation, au premier jour de sa vie constitutionnelle, qui fut, en somme, pour l’ensemble du pays, une surprise. Nous verrons plus tard l’opposition prendre des formes concrètes, le courant moderne la traverser et faire fonction d’isolateur, l’esprit démocratique se dégager du pur sentiment national. En 1872, elle est instinctive et elle est une ; idéaliste en même temps, et ceci, il faut bien le dire, ne tient pas uniquement à l’éducation des hommes. Dans un pays où ni la question religieuse, — au sens où l’entendent nos sociétés occidentales, — ni