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la question sociale, ni la question dynastique ne sont posées ; l’opposition manque de son aliment quotidien. Elle est obligée de remonter toujours aux mêmes sources, ataviques, lointaines, qui ne tarissent pas, il est vrai, mais ne coulent à pleins bords qu’en certaines saisons de l’histoire.

Les Croates avaient fourni, au cours de cette lutte de quatre ans, tout ce dont ils étaient capables, en l’état des circonstances et de leurs moyens. Les Hongrois eurent l’habileté de ne pas les pousser à bout et se prêtèrent à une révision de la Nagoda. Ils avaient l’expérience de la diplomatie croate : ils étaient assurés de garder les positions acquises et de mettre encore, en apparence, le beau rôle de leur côté. De fait, cette révision, obtenue à si haut prix, n’apporta que des modifications de détail au régime des finances, sans toucher au principe désastreux qui liait l’indépendance économique de la Croatie. Elle fut signée au cours de l’été de 1873.

Le même besoin réciproque de trêve porta au pouvoir un homme qu’y prédestinaient sa haute quiétude intellectuelle et une sorte de primauté d’honneur acceptée par tous les partis. C’était Ivan Mazuranic, le seul ban national que son pays ait obtenu depuis vingt-cinq ans.

Mazuranic ne s’était distingué, dans la politique, que par des conseils sensés et des manifestes fort éloquens. Dans les lettres, il était l’orgueil de la Croatie. Il avait pris, fort jeune, à côté de Louis Gaj, la tête du mouvement illyrien de 1835. À trente-deux ans, il écrivait Cengic-Aga, poème admirable de couleur et de concision, dont le sujet, d’une actualité poignante alors, est emprunté aux guerres des Monténégrins et des Turcs. Les deux héros de cette moderne épopée, le Turc et le chrétien, se trouvèrent face à face dans une rencontre. Cengic-Aga fut tué. Le Slave Novica Cerovic trouva sur le cadavre une montre d’or, et son fils l’offrit au poète, en s’excusant de ce qu’elle fût malo udubljena, — littéralement « un peu enfoncée ».

Le cadeau était plus digne des sentimens que Mazuranic avait inspirés que de ceux qu’il éprouvait. Sa dominante était l’horreur du fanatisme. Il se déliait même de la pénétration de la vie publique par le sens religieux. On retrouve dans sa politique l’esprit qui lui dicta cette strophe de l’Osmanide : « Oh, qu’il soit maudit, l’homme qui persécute son frère à cause de sa foi. Tous tes malheurs, ô terre des Slaves, prennent leur source dans cette boue ! »

Très ouvert aux idées de l’Occident, il essaya d’introduire en Croatie l’éducation libérale. En 1874 il fit voter une réforme