même les pamphlétaires écrivaient bien, l’auteur d’un assez vilain libelle disait, en parlant de cette charmante Madame qui a embelli les premières années de Louis XIV, et dont Bossuet a immortalisé la mémoire : « Quand elle parle à quelqu’un, comme elle est toute aimable, on dirait qu’elle demande le cœur, quelque chose indifférente qu’elle puisse dire du reste. » Et Daniel de Cosnac dit également dans ses Mémoires : « Madame a l’art de s’approprier les cœurs. » Cet art de s’approprier les cœurs. Mme la duchesse d’Orléans le possédait au plus haut degré. Elle semble, à travers une génération, l’avoir transmis comme un héritage à ses petites-filles, en particulier à la jeune et charmante reine dont la grâce non moins que la popularité contribuent à la solidité de l’un des trônes de l’Europe. Sans peine, Mme la duchesse d’Orléans s’était approprié mon cœur d’enfant, et sa mort fui pour moi un vif chagrin. Très différent d’elle d’aspect extérieur, car il était grand et fort autant que Mme la duchesse d’Orléans était mince et frêle, M. le Comte de Paris avait cependant hérité d’elle certaines qualités de rectitude morale, de bonté et de délicatesse. La mémoire de sa mère lui était demeurée chère, et le souvenir que, de mon côté, j’avais gardé d’elle, a contribué, j’en suis persuadé, à sa bienveillance pour moi.
Durant les quelques années qui précédèrent la chute de l’Empire, je revis plusieurs fois M. le Comte de Paris, mais sans rechercher l’honneur de son intimité. On nous élevait en effet, nous autres jeunes gens qui arrivions à l’Age de la vie publique, dans une idée que je crois fausse aujourd’hui, mais qui séduisait beaucoup nos esprits inexpérimentés : c’est que la forme, le principe du gouvernement, devaient Aire tenus pour indifférens, et qu’une seule chose importait : la liberté. Les garanties de la liberté pouvaient être obtenues aussi bien de l’empire ; ou de la république que de la monarchie. Il fallait les réclamer, les conquérir et pour cela se jeter avec ardeur dans les luttes électorales. Mais, en ce temps-là, pour être député ou même conseiller général, il fallait prêter serment, et jurer non seulement obéissance à la constitution, mais fidélité à l’Empereur. Or il semblait à ma conscience, peut-être un peu trop rigide (je ne discute pas), qu’il y avait quelque chose de contradictoire entre la fidélité à l’Empereur et le dévouement personnel à des princes d’une autre dynastie. Je me tenais donc, vis-à-vis de M. le Comte de Paris, sur le pied d’une certaine réserve dont il voulut bien, plus tard, comprendre le motif.
Cette compréhension lui était d’autant plus facile que l’état d’esprit que je viens d’indiquer ne différait pas alors beaucoup du sien. Il n’était pas homme à recevoir des idées toutes faites, et à croire