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à la supériorité de la monarchie, uniquement parce qu’il était petit-fils de roi. Ses convictions, sur toutes choses, étaient réfléchies, et je n’ai jamais rencontré une intelligence plus libre et plus dénuée de préjugés. Avant et par-dessus tout, il était libéral ; non pas par cet enthousiasme un peu candide (il n’était guère enthousiaste de nature) qui avait animé la génération de 1830, mais par goût et par réflexion. Il se rendait compte que, sans être en aucune façon un principe absolu, applicable en tout temps et sous toutes les latitudes, la liberté, à un certain degré, est une nécessité dans les institutions d’un peuple dont la masse est arrivée à l’émancipation intellectuelle. Il sentait que la France en particulier, ce pays qui a fait la révolution de 1789, celle de 1830, et celle de 1818, ne saurait plus être gouvernée, comme autre fois, par ordonnances royales. Quel régime garantirait le mieux la liberté, sans troubler l’ordre nécessaire à la marche des sociétés ? c’était la question qu’avec nous tous, les jeunes gens d’alors, il se posait. Sans doute par instinct, par goût, par éducation, il croyait à la supériorité de la monarchie. Il avait été élevé dans cette tradition, et le spectacle du magnifique développement des institutions constitutionnelles anglaises qu’il avait sous les yeux était bien fait pour l’y confirmer. Mais son esprit n’avait aucune répulsion pour la forme républicaine, qu’il avait vue également à l’œuvre en Amérique, et dont il avait étudié les rouages avec un soin consciencieux.

Cette campagne qu’il fit aux Etats-Unis, dans les rangs de l’armée qui combattait pour l’abolition de l’esclavage, était demeurée un des temps de sa jeunesse vers lequel l’imagination de M. le Comte de Paris se reportait le plus volontiers, un des seuls souvenirs radieux de sa vie. Chacun d’entre nous, même le plus sage, conserve ainsi dans sa mémoire le souvenir d’années où il s’est laissé guider par l’imagination plus que par la raison, par l’entraînement plus que par le devoir. Ce temps était pour M. le Comte de Paris celui de son expédition américaine. Pendant près d’un an, il avait vécu d’une vie libre et hardie, donnant carrière à ses goûts d’exercice, d’aventure, et en même temps d’observation sociale. Quel souvenir il avait laissé aux Etats-Unis, combien il y était demeuré respecté et même populaire, non seulement parmi ses compagnons de l’armée du Nord, mais aussi parmi les soldats de l’armée confédérée, j’ai pu en juger par moi-même lorsque je l’accompagnai dans son voyage de 1890, et lorsque j’eus le curieux spectacle de le voir guidé à travers les champs de bataille qui entouraient Richmond par quelques-uns des gentlemen du Sud qu’autrefois il y avait rencontrés comme adversaires. « Vous aviez voulu, il y a trente ans, entrer à Richmond