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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/169

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A un surcroît de production de tubercules, correspondra une augmentation des animaux élevés, entretenus, sacrifiés, et la prodigieuse fortune de Chicago montre quels avantages on peut tirer de cet élevage.

Nous savons, en outre, et les expériences de M. Aimé Girard nous l’ont montré clairement, que la pomme de terre convient à l’engraissement des bêtes à cornes, et ici le marché est largement ouvert. Si la nourriture végétale ne fait pas défaut dans notre pays, il n’en va pas ainsi pour la consommation de la viande de boucherie ; nous sommes même encore loin de la poule au pot d’Henri IV. Nos animaux se maintiennent à un prix si élevé, que les Américains trouvent profit à nous en envoyer ; visiblement, si nous produisons sur une surface donnée une plus grande masse d’alimens propres au bétail, nous pourrons vendre ce bétail et encore avec bénéfice, à un prix plus bas que par le passé : la viande deviendra accessible à ceux qui jusqu’à présent en ont été privés.

Sans doute, on ne peut pas espérer que toujours la production et la consommation, l’offre et la demande marcheront d’un pas égal. Si en cultivant mieux nous augmentons nos rendemens, et que nous nous obstinions à considérer exclusivement la matière produite comme marchandise de vente, la baisse des prix est fatale ; c’est ce qui est arrivé l’an dernier, après l’admirable récolte de blé que nous avons obtenue. Il faut s’ingénier pour trouver, à cette marchandise produite avec abondance, de nouveaux débouchés ; il faut la transformer et la présenter sur le marché à un état tel que le prix en soit assez élevé pour nous laisser des bénéfices. Si, au lieu d’être vendeurs de pommes de terre, nous sommes marchands de bétail, le bas prix de la pomme de terre, ruineux tout à l’heure, est maintenant avantageux, et d’autant plus que son prix de revient sera plus bas.

Un cultivateur habile ne doit pas s’obstiner à porter au marché une marchandise que son abondance déprécie, mais profiter de cette abondance même pour obtenir, à l’aide de cette marchandise, des produits d’un prix plus élevé ; à l’heure actuelle c’est sur l’élevage et l’engraissement du bétail, devenu rare depuis la grande sécheresse de 1893, que doit se porter son activité.


P.-P. DEHERAIN.