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des relations que, sous l’empire, l’union libérale avait nouées avec le parti républicain pour faire entendre aux hommes les plus justement considérés de ce parti qu’ils ne trouveraient pas dans le prince un homme à idées étroites et à rancunes tenaces.

Par son absence de préjugés, par son goût pour les hommes nouveaux, M. le Comte de Paris était admirablement propre à cette tâche. Renonçant aux habitudes et aux travaux qui lui étaient les plus chers, il s’y consacra tout entier, par relations personnelles ou par correspondance, avec une activité qui lui aurait bien donné le droit d’adopter cette devise personnelle à laquelle il avait songé un instant : Lilia nent atque laborant. Sa journée tout entière y passait, et cependant sa journée était longue. Elle commençait à cinq heures du matin. Lorsque je descendais chez lui, à neuf heures, dans le study d’Eu, et plus tard de Sheen ou de Stowe, où le bureau de Mme la Comtesse de Paris était toujours installé à côté du sien, sa besogne personnelle était déjà faite, et son temps libre. La mienne était préparée. Elle consistait, en partie, à lui signaler ce qu’il y avait d’intéressant dans les journaux dont la lecture lui prenait beaucoup de temps. Leurs attaques les plus grossières le laissaient parfaitement indifférent ; mais leurs lazzis sur son compte, quand il les trouvait bien tournés, le divertissaient beaucoup, et M. Rochefort ne s’est jamais douté des bons momens que certains de ses articles lui ont fait passer, lime montrait ensuite presque toutes les lettres qu’il avait reçues, et il en recevait énormément. Il m’indiquait les réponses à faire à quelques-unes, se réservant de répondre lui-même au plus grand nombre. Je lui communiquais à mon tour les miennes, particulièrement celles qui contenaient quelques critiques dirigées contre sa politique. Je lui faisais part de mes impressions personnelles, et nous causions ainsi librement de toutes choses jusqu’au déjeuner. L’après-midi se partageait ensuite entre les conversations particulières avec les nombreux visiteurs qui venaient le voir au château d’Eu, et les exercices physiques qu’il jugeait indispensables à l’équilibre d’une vie masculine. La soirée se terminait de bonne heure. Aucune contrainte, aucune étiquette, peut-être même pas assez ; mais la cordialité la plus grande, et il n’y avait si petit service rendu dont on ne fût surabondamment remercié.

Tant de conscience, tant d’application, une si juste intelligence de ses devoirs et de la situation du pays ne devaient pas être perdues. Les élections de 1885, par lui dirigées personnellement, montrèrent combien efficace et habile avait été son action. Cent sièges gagnés sur les républicains, et le nombre des membres de l’opposition doublé en vinrent témoigner. Il y eut, à la suite de ces élections,