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quelques mois où la monarchie parut avoir le vent dans les voiles. Les incidens heureux se succédaient. Le mariage qui faisait de la fille aînée de M. le duc de Chartres la belle-sœur à la fois du Isar et du prince de Galles, les fêtes données à cette occasion au château d’Eu où les télégrammes royaux affluèrent, les fiançailles de la princesse Amélie avec l’héritier du trône de Portugal, l’éclatante soirée donnée rue de Varenne pour son contrat, tout semblait présager des jours nouveaux. La personne de M. le Comte de Paris sortait de la pénombre pour entrer dans la lumière. Bien des fois il était venu à Paris, sans attirer l’attention. Quelques jours avant son départ pour Lisbonne où il allait conduire sa fille, sa voiture à roues rouges et à livrée bleue, qui stationnait rue Vivienne à la porte d’un photographe, fut remarquée. Les passans se groupèrent, de plus en plus nombreux. M. le Comte de Paris, qui ne s’en doutait pas, sortit accompagné de Mme la Comtesse de Paris et de la princesse Amélie. Voulant faire quelques emplettes, il essaya de suivre la rue à pied. La foule lui fit cortège et, comme elle grossissait de moment en moment, il fut obligé de remonter en voiture pour s’y dérober.

Le jour du départ pour Lisbonne (j’étais du voyage), des instructions sévères durent être données pour empêcher que la gare de Paris et les autres gares du réseau fussent envahies par des manifestans qui voulaient apporter des (leurs à la jeune princesse. Mais, ce qu’on ne put empêcher, ce fut que dans un rayon de cinquante lieues autour de Paris, il n’y eût, à presque tous les passages à niveau, des curieux assemblés pourvoir passer le train spécial qui semblait ; porter tant de promesses. Parfois nous remarquions, dans les champs, des paysans qui s’interrompaient de leur travail pour faire des signes de la main. Je me souviens, entre autres, de notre sortie de Blois. En sortant de la gare, la voie coupe une large rue et traverse un faubourg. Au passage à niveau, la rue était noire de inonde ; dans le faubourg, toutes les fenêtres étaient garnies ; les femmes agitaient leurs mouchoirs ; des fleurs furent jetées. Nous fûmes charmés et même un peu surpris de ces manifestations. Nous sûmes depuis que les commissaires de surveillance des différentes gares en avaient rendu compte au gouvernement, et que l’unanimité de leurs rapports fut pour beaucoup dans la résolution que prirent alors les ministres de déposer une proposition d’exil.

On sait que la proposition en question fut déposée au moment où M. le Comte de Paris quittait Lisbonne pour revenir en France. Ce fut en cours de route, au buffet d’une petite station appelée Talaveyra de la Reyna, que le Comte de Paris l’apprit, en lisant un journal espagnol. La pensée nous vint à l’esprit que le