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famille. Suivant l’âge des bénéficiaires une semblable prime peut représenter à l’échéance jusqu’à 6 et 8 millions de capital. Ce n’est là qu’un aspect tout fantaisiste de l’assurance, puisqu’elle n’est pas faite pour multiplier l’opulence des millionnaires, mais surtout pour parer à l’indigence des « sans fortune ».

À ce point de vue l’organisme rend en France d’incontestables services, puisqu’il a présentement la charge de fournir à 270 000 familles le modeste capital de 13 500 francs. La clientèle ne descend pas toutefois au-dessous de la petite bourgeoisie. Une société allemande, la Mutuelle de Gotha, qui figure parmi les plus anciennes et les plus florissantes de l’Europe, comptait par 1 000 adhérens 308 commerçans, 132 industriels et 293 fonctionnaires. Outre ces catégories, comprenant à elles seules les trois quarts des assurés, on trouvait 54 médecins ou vétérinaires, autant d’aubergistes, 43 employés de chemins de fer et autres entreprises de transport, 17 militaires et pareil nombre d’ingénieurs, 21 artistes, 7 domestiques, 2 ou 3 hommes de lettres et 50 individus sans profession. Si l’on retranchait de cette liste les fonctionnaires de l’Etat et des administrations de chemins de fer — pour lesquels il existe chez nous des caisses de retraites spéciales — je suis d’accord avec M. Chaufton, l’auteur d’un ouvrage aujourd’hui classique sur les Assurances, pour estimer que les mêmes proportions se retrouveraient dans le groupe français.

C’est donc en des cercles bien restreints encore que se recrutent les assurés. Par une contradiction apparente, dont les socialistes font grand étalage, ceux qui auraient le plus d’intérêt à créer quelques ressources à leurs veuves, à leurs orphelins, ou à leur propre vieillesse, semblent précisément hors d’état de prendre des engagemens et surtout de les tenir. « La caisse d’épargne, la mutualité, disait Proudhon, choses excellentes pour qui, jouissant déjà d’une certaine aisance, désire y ajouter des garanties, demeurent tout à fait infructueuses, sinon même inaccessibles, à la classe pauvre. La sécurité est une marchandise qui se paie comme toute autre, et comme le tarif de cette marchandise baisse, non pas selon la misère de l’acheteur, mais selon l’importance de la somme qu’il assure, l’assurance se résout en un nouveau privilège pour le riche, en une ironie cruelle pour le pauvre. » Et il est très vrai que les compagnies privées, pas plus d’ailleurs que les gouvernemens, ne peuvent faire quelque chose de rien, qu’il faut, pour être assuré, apporter une mise à la caisse commune.

Mais ce n’est pas une raison pour que l’institution qui nous occupe ne pénètre pas dans la masse du peuple. Le coût des diverses assurances nécessaires à l’ouvrier a été estimé par un