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yoghi, enfin uni à Brahma, va jusqu’à perdre la notion de son corps. Il a commencé par étudier les Védas ; il a médité les attributs de Brahma, il a fixé sa pensée sans interruption sur l’invisible et l’unique Brahma ; à la fin sa pensée s’absorbe en Brahma, et il se contemple lui-même en Brahma. Comme une personne qui tient dans sa main une statuette de terre ou de marbre en vient à oublier la matière mise en œuvre pour ne voir que l’objet représenté, le yoghi, dans son effort exclusif, se confond avec Brahma, et se dissout dans la divinité comme le sel dans l’eau.

La métaphysique hindoue se complique d’énumérations à l’infini, de catégorisations sans nombre. Pour acquérir la sagesse suprême, il faut quatre choses : savoir distinguer ce qui passe de ce qui demeure, être indifférent aux résultats de ce que l’on a entrepris et de ce que l’on entreprendra, posséder les six qualités morales, désirer avec passion d’être délivré de l’existence matérielle. Suit la nomenclature des six qualités, des trois corps, des cinq fluides, des dix-sept marques caractéristiques de l’être moral, etc. Et cela finit par ces trois phases de la vie spirituelle : l’existence, la conscience et la félicité, sat, chit et ananda… L’esprit est privé de son, de toucher, de forme, de couleur, de goût, d’odeur ; il est éternel, sans commencement ni fin, supérieur à la matière. A ceux dont la pensée est complètement mûre, la philosophie supérieure du Yoga, le Raja Yoga, est aisément accessible. Brahma, l’ennemi de toute ignorance (avidyâ), est en eux, et ils sont en Lui.


III. — UN MARIAGE. — LES ACROBATES ET LES ESCAMOTEURS

Sous tous les cieux et sous tous les climats, à toutes les races d’hommes qui, la charrue de bois ou de fer en main, la violentent pour lui arracher les grains nourriciers, la Terre, la grande Mère, féconde et généreuse, n’épargne ni la peine ni l’angoisse. Comme le paysan de notre douce France, le vellaja hindou passe par bien des alternatives de crainte et d’espoir avant de moissonner les épis mûrs. En passant devant les rizières, les femmes s’arrêtent pour entendre les chansons du pauvre homme qui demande de la pluie à Devindra, et elles interprètent les fragmens saisis au hasard, et retenus avec soin, comme des formules magiques.

Mais l’année s’ouvre, l’époque de la maturité arrive, et voici le temps de la moisson. Après avoir remercié les divinités bienfaisantes, le vellaja serre dans ses greniers le riz qui doit nourrir la famille pendant toute l’année, et réserve la paille pour les bœufs