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dans ses veines. Mais, grâce à son brassard de cuivre, qui est enchanté, il ne craint rien. Maintenant, s’il se privait de ce talisman et qu’il fût mordu, il n’en serait pas effrayé encore. Ne possède-t-il pas un remède efficace qui absorbe le poison de la blessure et la fait se cicatriser en peu de temps ? Et l’on va voir combien les serpens aiment la musique !…

Sa harangue finie, le charmeur joue un air berceur et, de sa main droite restée libre, ouvre doucement son panier qu’il a posé à terre. Les quatre cobras-capellos agitent dans un balancement continu leur tête élargie et paraissent suivre le rythme lent du magadi. L’un des serpens, le noir, se projette en avant et se rapproche de plus en plus. L’instrument se tait soudain, le cobra fait entendre un sifflement aigu et sa tête hideuse vient toucher les lèvres du charmeur, qui se rejette en arrière et reprend sa musique. Le serpent recule en se balançant, et va se replacer dans le panier qui s’est ouvert de nouveau et dont le couvercle retombe sur lui.

Le public haletant est distrait de son émotion par un cri de frayeur suivi de rires. En manière de plaisanterie, le charmeur a pris par le bras un jeune garçon qui restait là, bouche bée, et, d’un geste, a fait tomber à terre un gros scorpion noir, d’une espèce très venimeuse, qu’il a feint de découvrir sur le cou brun du spectateur. C’est le moment maintenant de vendre le fameux remède contre la morsure des serpens ; il y a des acheteurs et beaucoup.

S’il honore le serpent par crainte, l’Hindou vénère la vache par reconnaissance. Le divin bouvier Krichna, l’avatar de Vichnou, institua ce culte, après avoir tué le grand cobra-capello Kalinga, dont le venin était si puissant que le vent qui l’avait touché en était empoisonné. Quand, jaloux et irrité de voir l’adoration aller aux vaches nourricières, Devindra fit pleuvoir à torrens sur les pâturages, Krichna, soulevant du doigt le mont Govartnagiri, en fit un toit à l’abri duquel se réfugièrent les bouviers et leurs troupeaux.

Dans le sud de l’Inde, on rencontre des vaches et des bœufs savans. Il faut une longue patience pour faire l’éducation des bonnes bêtes dont les gros yeux ronds et calmes ne décèlent pas une intelligence bien vive, et le résultat auquel parviennent les dresseurs n’en est que plus intéressant. Mangalam reçut un jour la visite de deux hommes conduisant une vache et un taureau, deux beaux animaux qui portaient au cou des clochettes de cuivre et dont les cornes dorées resplendissaient au soleil. Nécessairement, le taureau s’appelait Rama, comme la vache s’appelait Sita ; ce sont les noms les plus répandus dans l’Inde. Très capable d’aller,