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L’ingénieur ordinaire des ponts et chaussées, résidant à Guelma, était, en 1890, chargé de faire une route assurant les communications entre Tebessa et la commune de Morsott. A raison des difficultés que pouvait présenter l’établissement de cette route dans le pays montagneux qu’il fallait traverser, l’ingénieur jugea nécessaire de se rendre lui-même sur les lieux pour en arrêter le tracé. Il avait avec lui un conducteur des ponts et chaussées qui était en même temps agent voyer de la commune mixte de Morsott. En procédant aux opérations du tracé, il arriva à un endroit où de merveilleuses récoltes de céréales étaient encore sur pied. Leur aspect était tel que l’ingénieur en fut frappé. « Elles appartiennent sans doute à des colons de Tebessa ? dit-il à son conducteur. — Nullement, répondit celui-ci : elles sont à des indigènes de la commune mixte et nous sommes sur des terrains collectifs de culture. — Mais alors ils doivent cultiver à l’européenne et avoir un outillage européen ? — Pas du tout, ils cultivent à l’arabe, se contentant de gratter la surface du sol et d’y jeter le grain. Et ce qui est encore plus surprenant, c’est que, dans ces parages, les lois de l’assolement ne sont point observées ; tous les ans, de mémoire d’homme, les cultures se succèdent dans les mêmes endroits, et les rendemens sont toujours prodigieux. — Il faut alors, dit l’ingénieur, qu’il y ait ici des engrais naturels d’une rare puissance. Quand vous ferez les travaux de la route, ne manquez pas d’ouvrir les yeux et d’examiner le terrain, vous trouverez certainement un riche gisement de phosphate de chaux. »

Une fois l’ingénieur parti, le conducteur se garda bien d’oublier ses recommandations. Au cours des travaux, son attention fui appelée sur un banc de pierre très friable, de couleur grisâtre, se nuançant parfois de vert ou de violet. Il en prit quelques morceaux et les porta chez un pharmacien pour les faire analyser. Ce dernier n’eut pas de peine à y constater d’énormes proportions de phosphate de chaux.

L’ingénieur ne s’était point trompé. Il semble que son conducteur aurait dû l’en aviser. Au lieu de le faire, ce dernier se rendit chez un courtier en grains et en alfa, de nationalité anglaise, qui faisait de grandes opérations dans la région de Tebessa. Il lui remit des échantillons, en l’engageant à voir si, en Angleterre, il ne trouverait pas des capitalistes pour exploiter un énorme gisement de phosphate de chaux. Homme d’affaires entreprenant et habile, ce courtier, un M. Crookstone, sut vite apprécier, à sa juste valeur, l’opération qu’on lui signalait. Il écrivit en Angleterre et envoya des échantillons : il y lit même plusieurs voyages et ne tarda pas à réunir les capitaux nécessaires à une vaste exploitation. Pendant ce temps, le conducteur faisait demander à la commune mixte de Morsott, dans les communaux de laquelle se trouvait le gisement qu’il avait relevé, la concession du