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tectorat place, à l’égard l’une de l’autre, la nation protectrice et la nation protégée dans une situation toute spéciale, non seulement au point de vue politique, mais même au point de vue commercial. C’est une chose relativement neuve, dans nos mœurs politiques et coloniales, que l’application du système du protectorat. Cela sent l’improvisation. Les principes de la matière ne sont pas encore fixés. Toutes les conséquences pratiques n’en ont pas encore été tirées. Les précédens ne sont pas assez nombreux, ou bien ils sont trop confus pour qu’on puisse les invoquer et s’y appuyer. Bon gré, mal gré, il faut donc innover, inventer, et montrer de l’originalité dans le développement d’une œuvre originale. La nation protectrice, même au point de vue commercial, doit-elle être placée, relativement à la nation protégée, sur le même pied que les autres nations plus ou moins favorisées ? Ne sort-elle pas de la nomenclature ordinaire de celles-ci pour occuper une situation à part ? Ces questions se posent aujourd’hui sans qu’on puisse les éviter ; mais évidemment elles ne seront résolues qu’après une étude très attentive. Au surplus, la multiplicité des intérêts en présence nous est un gage de l’impartialité qui présidera finalement aux solutions nécessaires. Nous avons à nous entendre avec l’Angleterre aussi bien qu’avec l’Italie, et l’Angleterre, nous sommes heureux de le dire, a toujours montré beaucoup de bon sens et de sang-froid pour le règlement de toutes les questions communes que nous avons eu à débattre en pays de protectorat. Cela est d’autant moins étonnant qu’elle aurait été elle-même dans le monde la grande initiatrice du système du protectorat, si Rome ne l’avait pas appliqué avant elle. Si l’Angleterre n’a pas changé d’esprit, — et il ne lui arrive guère d’en changer parce qu’elle est, en matière coloniale, l’héritière de la plus longue expérience, de la plus grande leçon de choses qui ait jamais existé, — nous nous entendrons avec elle aussi facilement que par le passé. Quant à l’Italie, nous sommes prêts à lui accorder, dans le cas où elle ne se mettrait pas d’accord avec nous sur un nouvel arrangement, le régime de la nation, autre que la France, qui aura été la plus favorisée ; mais il vaut encore mieux faire directement un traité avec elle, pour elle, en vue de ses intérêts spéciaux contre lesquels nous n’avons, bien loin de là ! aucune pensée malveillante. L’opinion, au-delà des Alpes, s’est méprise sur nos intentions : nous aimons à croire qu’il n’en sera pas de même du gouvernement.

Francis Charmes.