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bon, partisans d’une nouvelle Charte, hantés par le souvenir de la Déclaration des Droits de l’Homme et de la Constitution de 1791, voyant dans la monarchie nouvelle la meilleure des républiques, prêtant l’oreille aux utopistes, pleins de bienveillance pour les émeutiers, estimant enfin qu’on faisait toujours trop pour le pouvoir, jamais assez pour la liberté ; ceux-là — et parmi eux le duc de Broglie, Guizot, Casimir Perier — s’efforçant de ne pas devenir révolutionnaires même en accomplissant une révolution ; rappelant que celle-ci avait été entreprise consommée pour l’ordre et non contre l’ordre, au cri de : Vive la Charte ! et se flattant d’introniser une quasi-légitimité, une quasi-hérédité. Est-il besoin de dire que c’est de leur côté que Bugeaud se rangea ? Autant il s’indigne des faiblesses du jury, des concessions aux amis du bonnet rouge, aux députés de l’opposition, autant il seconde une politique qui au dehors posait le principe de non-intervention ; au dedans faisait respecter le jugement de la Chambre des pairs sur les ministres de Charles X ; enlevait à La Fayette le commandement des gardes nationales du royaume ; et, prenant tout son essor avec Casimir Perier, ramenait le calme dans les rues, l’ordre dans l’administration, et rassurait l’Europe sans lui céder[1].

Élu député, promu général en 1831, il donne un gage de son dévouement en acceptant, bien malgré lui, le poste de gouverneur de la citadelle de Blaye, où venait d’être enfermée la duchesse de Berry (13 janvier 1833). « Le Roi le sacrifie, sans penser qu’il a une famille, soupirait Mme Bugeaud ; et, devant le déchaînement des partis, le gouvernement ne le soutiendra pas ! » Lourde, en effet, était la tâche. Bugeaud s’efforça de la remplir en gentilhomme : il répond avec indépendance aux ministres, leur met le marché à la main lorsqu’il juge sa dignité compromise, émet l’avis de renvoyer la princesse avant les couches, décide non sans peine le Cabinet à lui épargner un acte de constatation de son état, concilie, — elle-même l’a reconnu plus tard, — ses devoirs

  1. On jouait Robert le Diable en 1832, et Henri Heine commentait spirituellement le sens politique du livret : « Robert le Diable, fils d’un démon aussi réprouvé que Philippe-Égalité et d’une princesse aussi pieuse que la fille des Penthièvre, Robert le Diable est poussé au mal, à la révolution, par l’esprit de son père, et, par celui de sa mère, au bien, c’est-à-dire vers l’ancien régime. Ces deux natures innées se combattent dans son âme ; il flotte entre les deux principes, il est juste-milieu. C’est en vain que les voix de l’abîme infernal veulent l’entraîner dans le mouvement, en vain qu’il est appelé par les esprits de la Convention qui, nonnes révolutionnaires, sortent de leur tombeau, en vain que Robespierre, sous la figure de Mlle Taglioni, lui donne l’accolade. Il résiste à toutes les attaques, à toutes les séductions. Il est protégé par l’amour d’une princesse des Deux-Siciles, qui est fort pieuse, et lui aussi devient pieux ; et nous l’apercevons à la fin dans le giron de l’Église, au milieu du bourdonnement des prêtres et des nuages d’encens. »