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LE MARÉCHAL BUGEAUD.

population paisible, modérée, industrielle et riche. Elle nomme huit députés de l’opposition extrême ou presque extrême sur douze, maigre qu’elle veuille la monarchie, l’ordre et la paix, et qu’elle soit très satisfaite des brillantes affaires qu’elle fait. Les fabricans, les filateurs, les boutiquiers sont orgueilleux comme des parvenus ; ils veulent, disent-ils, des députés indépendans ; et ils prennent les plus dépendans possibles de leurs passions, de la presse et d’une vaine popularité. Voilà l’œuvre de cette presse qu’on dit tombée dans l’impuissance, et qui, selon moi, sera toujours très forte, parce que les sots et les faibles seront toujours en majorité… » Plus loin, le général exprime le désir que M, Thiers fasse partie du nouveau cabinet, après le triomphe de la coalition de 1839, cette fronde parlementaire où chacun mit son drapeau dans sa poche pour l’en retirer tout fripé, où les chefs donnèrent un si mauvais exemple aux soldats, marchant de faute en faute, ouvrant la porte à la coalition réformiste de 1847, esclaves de leurs ressentimens, de leurs ambitions, de leurs amours-propres irrités :


M. Thiers hors du Cabinet ira aux dernières limites, et, en attendant, il rendra le gouvernement très pénible, et par son habileté personnelle, et parce qu’il dispose de toute la presse, laquelle forme aujourd’hui l’aristocratie la plus compacte, la plus puissante qui ait jamais existé. Voyez comme elle tient le pays bloqué de manière à ne lui laisser arriver aucune vérité. Voyez comme elle élève un de ses chefs au-dessus du roi. C’est un duc de Bourgogne…


Et ailleurs :


…Je ne pense pas que la faction soit tout à fait découragée ; ses raisons sont dans la presse, et tant que celle-ci pourra souffler le feu et prêcher la république, il y aura de temps à autre des tentatives et du sang répandu. C’est là tout notre mal. Insensés que nous fûmes de lâcher la presse sans bride ni liens ! Nous avons établi la liberté de 500 journalistes, de quelques factieux, et opprimé tout le reste. En tout cela nous avons obéi aux sophismes dont la presse elle-même avait embarbouillé notre esprit et troublé notre raison, pour mieux établir son influence despotique. Oh ! comme je la hais ! Quand pourrai-je faire partie d’une croisade contre elle ? Jamais on ne détesta autant les barons féodaux ! Plus j’aime la liberté, plus je suis patriote, et plus j’abhorre la presse ! Elle fait tant de mal au pays ! Elle corrompt tout : les lois, les hommes, les meilleures choses ; et on l’appelle la plus précieuse de nos libertés ! Ah ! oui, précieuse, comme la peste et le choléra ! Mieux vaudrait porter ces deux fléaux aux Allemands que la liberté de la presse !… Quand les journaux me paieront-ils leurs scélératesses ? Oui, il y a liberté pour les journaux : tout le reste est esclave. Mais les journaux eux-mêmes sont esclaves des passions qu’ils ont soulevées, des nécessités de leur horrible fabrique, des sordides intérêts qui s’y rattachent. Pauvres indépendans ! comme dit Jaubert.