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Très autoritaire, dévoué à la politique du Roi, archigouvernemental, protectionniste et censitaire dans l’âme, il déteste la République, les régicides, les émeutiers, « qu’il faut mettre à part des forçats pour que ceux-ci ne soient pas infectés par ces excrémens de l’espèce humaine, » n’aime pas l’opposition, témoigne une sympathie fort tiède au régime parlementaire. C’est une politique réaliste dans toute la force du terme, d’une logique rigoureuse mais étroite, peu attentive aux leçons de l’histoire, aux perpétuelles antinomies des questions. Les yeux fixés sur le péril d’aujourd’hui, sur l’heure présente, il a manqué à Bugeaud de voyager dans le passé ou même dans le présent, d’aller par exemple en Turquie, où le général Sebastiani, en moins de deux ans d’ambassade, voyait périr par des conspirations onze ministres et deux souverains. En revanche, de tels hommes sont d’incomparables agens : jamais de défaillance, une présence d’esprit que rien ne déconcerte, un dévouement infatigable, des idées simples qui tout naturellement se concrètent en volonté, en action, en succès immédiat. Dans ses lettres à Romieu, on voit Bugeaud, mécontent souvent et pour son compte et pour le compte de la France, toujours prêt à servir au premier appel, à brûler ses vaisseaux, affrontant toutes les responsabilités, même celles d’actes qu’il n’a pas accomplis, — par exemple se taisant lorsqu’on l’appelle l’égorgeur de la rue Transnonain ; — et il n’avait point pris part à cette répression. Cependant il n’ignore pas les avantages du métier de Célimène parlementaire ; il sait qu’il vaut mieux se promettre que se donner, qu’on tient davantage les hommes par l’espérance que par la reconnaissance, que les caractères non tranchés, nageant entre deux eaux, réussissent ; qu’enfin beaucoup de politiques n’osent s’associer à lui, le nommer aux grands emplois à cause de la haine que lui portent les factieux et la presse. Et j’imagine que ces relations familières purent inspirer à Romieu quelques-unes des idées ultra-autoritaires qui font le thème de l’Ère des Césars, du Spectre rouge, et qu’aussi quelques molécules de cette humeur combative passèrent dans le talent de Louis Veuillot, qui, rédacteur du Mémorial de la Dordogne pendant plusieurs années, devint et resta son ami fidèle jusqu’à la mort.


Je trouve qu’il y a trois ans et demi que le gouvernement attend un peu de respect, qu’il attend de ses fonctionnaires autant de dévouement et de considération qu’ils en accordent aux clubs, aux journaux, aux bousingots ; savez-vous pourquoi ? C’est que le gouvernement est faible et débonnaire et que les journaux, les clubs, les bousingots sont hardis et querelleurs. Carrel est plus respecté que le Roi cent fois ; c’est que Carrel a un journal mordant