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en causant par la poste avec Louis Veuillot, Léon Roches, Thiers, Bedeau, Gardères[1], en donnant son avis sur les affaires de l’Algérie au général Cavaignac qui avait chargé le colonel Féray de le consulter. Un instant se pose sa candidature à la présidence

  1. À cette occasion, nous avons tout récemment retrouvé, dans les archives de la Revue, à laquelle on se rappellera peut-être que le maréchal Bugeaud avait collaboré (voyez la Revue des 1er  mars 1845 Bataille d’Isly, 1er  juin 1848, 1er  et 15 juillet 1848), la lettre suivante, adressée à M. François Buloz, et que nous donnons pour compléter le portrait du personnage politique :
    La Durantie, 4 juillet 48.
    Monsieur,
    J’ai reçu votre lettre du deux juillet ; les événemens m’empêchèrent de vous envoyer l’article que je vous avais annoncé ; je partis pour Bordeaux, et ce n’est qu’à mon retour que j’ai pu le terminer. Vous devez l’avoir reçu dans ce moment.
    Autant qu’on peut être bon juge de son œuvre, je crois que cet écrit est fort important : il contient des vérités que l’on sait peut-être, mais qu’on ne dit pas au peuple. Je veux croire que nos utopistes ne les savent pas, car, s’ils les savaient, ils seraient de grands scélérats, puisqu’ils proclament le contraire et font que l’on s’égorge pour une révolution sociale qui n’a aucune base, aucune autre mine à exploiter que celle du travail. Pourquoi donc s’égorger ? Je consentirais peut-être à bouleverser la société s’il était vrai que l’on pût par là améliorer le sort des masses. Mais j’ai la conviction la plus profonde que l’on atteindrait le but opposé, et c’est justement pour cela et parce que j’aime réellement le peuple, que je suis conservateur à outrance. J’ai pour cela autant d’ardeur que les démolisseurs, et j’y sacrifierais cent vies si je les avais, pour combattre les barbares qui se sont élevés au sein de la civilisation par l’odieuse influence des écrivains à l’esprit faux.
    Vous ne vous êtes pas trompé : j’ai longtemps médité sur la guerre des rues, je l’ai faite à Saragosse et à Paris ; je l’ai professée à l’École-Militaire lorsque j’y commandais une brigade en 1831. Pour éviter les attaques des journaux, je confondais ce cours oral avec d’autres sujets de guerre et je prenais pour exemple les sièges de Saragosse et du Caire. Comme mon auditoire était nombreux, puisqu’il se composait de tous les officiers et sous-officiers de trois régimens, il s’y trouva quelques affiliés des sociétés secrètes qui me dénoncèrent au National et à la Tribune. Ces deux feuilles m’attaquèrent avec violence, ce qui ne m’empêcha pas de continuer. Ma persistance me valut des lettres anonymes dans lesquelles on me menaçait de m’assassiner pour me punir d’enseigner « l’art d’opprimer et d’égorger les citoyens ».
    Les bons Français qui m’écrivaient sont de ceux qui ont la prétention de violer les lois, d’attaquer à main armée le gouvernement, et qui trouvent odieux et infâme que l’on se défende. Ils viennent de voir que la république, ou, pour parler plus vrai, la société, n’a pas été de cet avis.
    Je suis donc en mesure de faire un traité assez complet de la matière ; je vais tâcher d’en trouver le temps ; il nous restera à examiner si je dois le signer. Je vous ai dit que je donnerais cent vies pour l’ordre, mais je voudrais les donner en combattant, comme mon ami le brave général Négrier. Je ne redoute que l’assassinat, et mon traité pourrait bien m’y exposer. J’ai vu par quelques détails des événemens de Paris que mes leçons de l’École-Militaire n’avaient pas été entièrement perdues. Sur quelques points, on a percé les maisons à un étage quelconque, pour déborder les barricades : cela faisait partie de mon enseignement.
    Je crois connaître les moyens de rendre impossible la réussite de l’émeute, mais il faut pour cela un gouvernement qui ait la volonté et le courage de les appliquer.
    Recevez, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.
    Maréchal B. d’ISLY.
    P. S. — Je vous ai prié, dans la lettre qui accompagne l’article, de le faire revoir soigneusement et de l’insérer dans le numéro du 15: je vous renouvelle cette prière.
    Je n’ai pas reçu le numéro de la Revue que vous m’annoncez.