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toujours que ce soit l’erreur? Je ne voudrais pas en répondre! mais, en tout cas, c’est la tradition, c’est la coutume, je dirais volontiers, c’est le costume, si c’est tout ce qui contribue à faire de chacun de nous le produit de la race et de son milieu, le fils de son père, l’enfant de sa province, l’homme de sa condition, le citoyen de son pays. C’est encore, et partant, tout ce qu’ils croient qui s’oppose aux progrès de la raison abstraite, impersonnelle et universelle. Mais n’est-ce pas aussi pour cela qu’ils sont lus et compris, admirés et suivis, loués, imités, copiés à Berlin comme à Naples, et à Madrid comme à Saint-Pétersbourg? Allemands ou Russes, ils ne leur parlent à tous que de ce qu’ils ont de commun avec eux! et puisqu’il n’y a pas d’oreille humaine qui ne se dresse et qui ne s’ouvre avidement quand elle entend sonner les mots de « Justice » et de « Liberté », c’est ce que je veux dire quand je dis qu’ils expriment leur idéal « en fonction de l’humanité »,

Toutes les autres explications se ramènent à celle-ci. On a vanté la « clarté », la « logique », la « netteté » de la langue française, et on a eu raison. Mais ce n’est pas la langue française qui est de soi plus logique ou plus claire qu’une autre, c’est la pensée française ; et elle ne l’est devenue que pour avoir travaillé cinq ou six siècles durant à se faire comprendre. Et, pour se faire comprendre, nos grands écrivains n’en ont pas imaginé de moyen plus sûr, plus naturel d’ailleurs, — ni plus « civil », c’est le cas de le dire, — que de parler aux hommes de ce qui pouvait ou de ce qui devait en tout temps intéresser le plus grand nombre d’entre eux. Vous ne voyez pas l’importance ou l’intérêt pour vous, femme du monde ou petit bourgeois, de cette question de jurisprudence ou de théologie, sont-ils venus nous dire, et vous la laissez à résoudre aux hommes de loi et aux théologiens ! Nous allons vous montrer qu’il y va de votre repos, ou de votre fortune, ou de votre liberté, et pour vous le montrer, nous allons la transcrire dans le langage courant de vos habitudes ou de vos occupations. C’est ainsi que, bien loin de s’enfermer dans une contemplation égoïste d’eux-mêmes, et de n’écrire que pour quelques initiés, leur ambition a toujours été d’étendre davantage leur public. « Il faut écrire pour tout le monde, répétait George Sand à Flaubert, pour tout ce qui a besoin d’être initié. » Telle est bien la leçon que nos classiques nous donnent. N’est-ce pas déjà comme si l’on disait que, sans en être moins nationale, notre littérature a donc été toujours cosmopolite. Ce qui n’est pas « français » ce n’est pas « ce qui n’est pas clair », c’est ce qui n’est pas immédiatement entendu; et qu’est-ce qui n’est pas immédiatement entendu? C’est ce qui est trop « personnel »... Et par un détour