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a surtout porté sur deux points particulièrement délicats : la réduction des dépenses et la révision des traités avec les États étrangers. D’une part, la Chambre vote des dégrèvemens et des réductions de dépenses que le gouvernement estime incompatibles avec le bon fonctionnement des services publics. D’autre part, les députés expriment le sentiment général du pays en exigeant la dénonciation immédiate des traités. Mais les ministres, instruits par l’expérience, jugent qu’ils ne gagneraient rien à user de violence. Cette seconde difficulté semble devoir bientôt disparaître. Mais le gouvernement impérial a dû trois fois déjà dissoudre la Chambre et en appeler au pays. C’est beaucoup en cinq ans. Toutefois y a-t-il lieu de s’en étonner outre mesure et de conclure à l’impossibilité d’acclimater jamais le régime parlementaire au Japon ?

Le régime parlementaire est un instrument bien délicat pour un peuple si neuf à la vie politique. Ce n’est ni l’intelligence, ni l’habileté, ni même la patience qui manquent aux Japonais. Leurs hommes d’État comprennent fort bien le fonctionnement des institutions empruntées à l’Europe, et plus d’une fois le pays a fait preuve de sagesse. Ajoutons qu’il a toujours compté d’excellens administrateurs. Mais il faut avouer que l’existence antérieure du Japon l’a mal préparé à la liberté moderne. Les nations européennes puisent dans une longue tradition historique le sentiment du droit qui leur donne plus ou moins le courage de résister au pouvoir. C’est ce sentiment qui crée des citoyens, c’est-à-dire des membres du corps social, participant, pour leur quote-part, à la gestion des affaires publiques. Or, durant de longs siècles, les Japonais ont été plies à obéir non à des lois, mais à des volontés. Le peuple était soumis au bon plaisir des samouraï, qui eux-mêmes obéissaient aveuglément aux grands seigneurs (daïmio), tandis que ceux-ci tremblaient devant le souverain (shogun). L’histoire mentionne bien les résistances courageuses qui se sont produites à tous les degrés de cette échelle sociale. Mais les hommes d’élite qui se sacrifiaient ainsi sentaient eux-mêmes qu’ils n’étaient que des révoltés, et la masse, tout en les admirant, trouvait naturel qu’ils fussent mis à mort. Rien dans le passé n’a donc préparé les Japonais au régime démocratique et parlementaire qui est devenu le leur. Les comptes rendus des Chambres témoignent d’une grande inexpérience, mais on peut compter que cette inexpérience disparaîtra, et l’éducation politique du pays marchera vite. Depuis plusieurs années la presse jouit d’une liberté que nous aurions enviée il y a trente ans seulement. Si les résultats en sont encore minces, c’est que les journalistes