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les cas de peu de conséquence, il s’en remettait à son chambellan Rietz, qui lui avait rendu le service d’épouser sa maîtresse; il le traitait sans façons, lui administrait dans ses colères des soufflets, des coups de pied ou de bâton : Rietz se consolait en bâtonnant à son tour quelque subalterne et en amassant dans l’ombre des écus pour ses vieux jours.

La Prusse a connu une autre forme de gouvernement personnel infiniment plus respectable, et qui fait meilleure figure dans le monde; elle a eu des souverains d’un esprit supérieur et d’une prodigieuse activité, qui se chargeaient de tout décider et de tout faire. Ils n’avaient point de favoris, et leurs ministres n’étaient que les obéissans exécuteurs de leurs volontés : tel l’homme incomparable dont Voltaire a dit « qu’il vivait sans cour, sans conseil et sans culte, et qu’il n’entrait dans son palais de Potsdam ni femmes ni prêtres. » Chaque matin, son premier ministre, qui n’était qu’un commis à qui les secrétaires d’État envoyaient toutes leurs dépêches, arrivait par un escalier dérobé avec une grosse liasse de papiers sous le bras. Le roi faisait mettre les réponses en marge, en deux mots. Toutes les affaires du royaume étaient expédiées ainsi en une heure. Rarement les secrétaires d’État, les conseillers en charge l’abordaient ; il y en avait même à qui il n’avait jamais parlé. « Le roi son père avait mis un tel ordre dans les finances, tout s’exécutait si militairement, l’obéissance était si aveugle, que quatre cents lieues de pays étaient gouvernées comme une abbaye. » Quand un souverain a du génie et qu’il est capable de régler lui-même toutes ses affaires, d’administrer ses finances et de gagner ses batailles, il peut réduire ses ministres aux fonctions de simples commis et se passer de confidens : il ne dit le plus souvent ses secrets qu’à son bonnet.

Si, à défaut de génie, il a ces qualités royales qui le remplacent parfois avec avantage, le bon sens, l’application, l’amour du travail, la rectitude de l’esprit, la sûreté du jugement, le discernement des hommes, et si par une faveur du ciel il rencontre parmi ses conseillers un homme d’État de premier ordre, à qui les événemens fournissent l’occasion de donner toute sa mesure, du jour où il l’aura honoré de sa confiance, il se croira tenu de le soutenir, de le défendre contre les intrigues de cour, de lui garder jusqu’au bout une inviolable fidélité. Cette sorte de gouvernement personnel suppose chez le monarque une vertu rare sur les trônes, une dose peu commune d’abnégation, et une absence totale de toutes les petites vanités. Ajoutez que les ministres omnipotens ne sont pas toujours commodes à vivre : ils ont des caprices et des hauteurs, ils aiment à faire sentir à leur maître qu’ils lui sont nécessaires, ils se font payer très cher leurs services, ils traitent avec lui de couronne à couronne.

Guillaume Ier a été le type de ces souverains qui donnent carte