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Après avoir étudié la coupe, la mélopée et la valeur musicale des antiennes, M. Gevaert étudie les trois époques du chant antiphonique :

Antiennes vocalisées sur le mot Alléluia et antiennes psalmiques, les plus anciennes remontant à la première organisation du chant des Heures ; — cette première catégorie existait seule encore au temps où saint Benoît rédigeait la règle de son ordre, vers 530 ;

Antiennes tirées d’écrits publics autres que les psaumes (Évangiles, livres prophétiques, historiques), datant du premier tiers du VIe siècle, au début des guerres gothiques;

Antiennes empruntées aux actes des martyrs ou à la vie des saints honorés à Rome d’un culte particulier, ne faisant pas encore partie de l’office sous le pontificat de saint Grégoire (590-604).

« L’Alléluia, dit M. Gevaert, fut, au IVe siècle, le cri de victoire du christianisme sorti de deux siècles et demi de persécutions et d’avanies, l’interjection hébraïque, modulée sous toutes les formes, devint un refrain d’allégresse qui accompagnait les occupations quotidiennes des paisibles populations converties à la nouvelle foi...

« Mais les véritables joyaux de l’Antiphonaire de l’office se trouvent parmi les cantilènes composées sur les textes de la seconde espèce, et particulièrement sur des extraits des livres prophétiques.

« C’est donc pendant l’intervalle compris entre 540 et 600 que cette branche du chant liturgique est parvenue à son plein développement et a donné ses fruits les plus savoureux : les offices de l’Avent et du cycle de Noël, modèles inimitables de mélodie tour à tour grandiose et suave, où tout respire la paix, l’espoir dans la venue prochaine d’une ère de félicité et de salut.

« Comment de pareils chants ont-ils pu se produire à une époque que notre imagination se représente comme une suite interminable et ininterrompue de guerres, de pillages, de massacres, de destructions, de bouleversemens et de cataclysmes tels, que saint Grégoire y voit les symptômes effrayans de la décrépitude du monde et les signes avant-coureurs de l’imminente catastrophe finale ? Il semblerait que, pendant la durée entière de ces soixante années, l’Église n’ait eu de voix que pour gémir et pour se répandre en accens d’angoisse et de suprême désolation... En réalité, la série des désastres ne fut pas continue. Après l’anéantissement de la puissance gothique par Narsès et la reprise définitive de Rome par les Byzantins (552), l’Église jouit d’une assez longue période de tranquillité et les peuples italiques purent croire à un meilleur avenir... Les pires calamités ne devaient commencer que sous le pape Benoît Ier (575-579) : d’abord les incursions incessantes des sauvages Lombards, puis une famine épouvantable ; plus tard des pluies diluviennes, et par suite une inondation qui amena l’écroulement d’une grande partie des anciens monumens de Rome ;